Rhums de Demerara

L’histoire des distilleries du Guyana remonte au milieu du xviisiècle avec la prolifération des plantations de canne sur les rives de la rivière Demerara suite à la colonisation du pays par les Néerlandais en 1616. Les Britanniques s’en emparent en 1796 et en prennent formellement possession en 1814. En 1831, les trois colonies fondées par les Néerlandais – Essequibo (1616), Berbice (1627) et Demerara (1752) – sont regroupées en une seule : la Guyane britannique. Le pays demeure sous domination britannique jusqu’à son indépendance en 1966 où il prend le nom de Guyana.

La Guyane britannique est entrée relativement tardivement dans la production sucrière, ce qui lui a permis d’importer le matériel le plus récent pour broyer la canne, produire du sucre, de la mélasse et du rhum. La production explose et le pays devient le premier producteur de sucre mondial en quelques décennies. L’économie du pays repose alors entièrement sur ce secteur, lui-même dépendant de l’esclavage, aboli avec le Slavery Abolition Act de 1833 mais longtemps poursuivi sous d’autres formes d’exploitation. Même après la chute du prix du sucre dans les années 1880 et la diversification des sources de revenus du pays qui s’ensuit, le sucre demeure majoritaire dans ses exportations. Le rhum n’est pas en reste et gagne rapidement en reconnaissance. En 1780, on dénombre ainsi plus de 300 distilleries autour du fleuve Demerara, chacune avec sa propre marque.

La baisse du prix du sucre et l’apparition de taxes entraînent une consolidation du secteur. À force de fusions et de rachats, le nombre de plantations tombe à 230 dans les années 1930 et à 18 en 1958. Les distilleries connaissent le même sort et il n’en reste plus que neuf en 1942. Une nouvelle vague de fermetures a lieu dans les années 1950 à 1970. En 1975, le gouvernement du Guyana nationalise les distilleries qui deviennent la propriété de Demerara Distillers Limited (DDL). Trois distilleries subsistent : Enmore, Uitvlugt et Diamond. À la fin du xxe siècle, seul Diamond, un domaine fondé en 1670 sur la rive est de la rivière Demerara, demeure. Le rhum Diamond à proprement parler est produit dans un alambic Coffey à deux colonnes en métal, installé dans les années 1950, mais la distillerie est surtout connue pour abriter les Heritage Stills : Port Mourant, Uitvlugt, Versailles et Enmore.

 

                                                                               Un des trois fûts qui composent le fameux UF30E 1985

 

Les distilleries du groupe Booker

Skeldon, Blairmont, La Bonne Intention et Albion appartenaient au groupe londonien Booker, fondé en 1835 par George et Richard Booker. Booker était un acteur majeur de la production de sucre en Guyane britannique au point de posséder plus de la moitié des plantations de canne du pays à la fin du xixe siècle. On faisait parfois référence à cette prééminence en parlant du Guyana comme Booker’s Guiana. Les distilleries du groupe ferment toutes sur décision de ce dernier, à l’exception de Uitvlugt qui a été modernisée au début des années 1960. C’est d’ailleurs à Uitvlugt que le style de ces distilleries a été sauvegardé grâce à son alambic Savalle à quatre colonnes.

 

La Bonne Intention

La plantation La Bonne Intention était située sur la rive est du fleuve Demerara. Elle a vraisemblablement été fondée à la fin du xviiie siècle. C’est d’abord une plantation de coton, la culture de la canne n’y débutant que dans les années 1820. On suppose que la production de rhum y débute également au xixe siècle comme en témoigne sa présence à l’Exposition universelle de Calcutta en 1883-1884. La Bonne Intention ferme au début des années 1960 mais la sucrerie subsiste jusqu’en 2011. Les rares rhums La Bonne Intention (marque LBI) qui nous sont parvenus ont été distillés à Uitvlugt.

 

Skeldon

La plantation Skeldon est fondée par William Ross au bord du Demerara au début du xixe siècle. La distillerie ferme en 1960. Son alambic, un Coffey Still, aurait été transféré à Uitvlugt puis à Diamond avant d’être démantelé. Selon d’autres sources, il n’aurait pas survécu à la fermeture de Skeldon. Les embouteillages de Skeldon par Velier (millésimes 1973 et 1978) mentionnant explicitement un Coffey Still, nous privilégions la première hypothèse. En revanche, c’est bien avec l’alambic de Uitvlugt que le rhum Skeldon est produit à Diamond aujourd’hui.

 

Blairmont

La plantation Blairmont, du nom de son fondateur Lambert Blair, est créée sur la rive ouest du fleuve Berbice dans les premières décennies du xixe siècle. On y trouve les premières traces de distillation en 1862. La distillerie ferme en 1962 et on ignore ce qu’il est advenu de l’alambic Savalle à deux colonnes qui s’y trouvait.

 

Albion

La plantation Albion a été vraisemblablement fondée au début du xixe siècle. Nous ne savons pas quand on commença à y distiller du rhum. La distillerie ferma en 1968. L’alambic d’Albion était une colonne en bois mais nous ignorons ce qu’elle est devenue. Si le style d’Albion continue à être produit à Uitvlugt avec son alambic Savalle, les embouteillages mentionnant un alambic Coffey en bois sont certainement l’œuvre de l’alambic Enmore.

 

Les Heritage Stills

 

Port Mourant

La distillerie Port Mourant fut construite en 1732 et a fermé en 1955. L’alambic de Port Mourant était un double alambic en bois, le Chlorocardium rodiei (Greenheart en anglais) qui combine une excellente résistance à l’humidité – il était généralement utilisé pour la construction de navires – à une capacité comparable à celle du cuivre d’éliminer les composés soufrés contenus dans les vapeurs pendant la distillation. Il a déménagé à Albion lors de la fermeture de Port Mourant puis à Uitvlugt et enfin à Diamond. Il est connu pour produire un rhum lourd et huileux.

 

                                                                                                                                  Port Mourant

 

Versailles

Le domaine Versailles a été fondé au milieu du xviiie siècle sur la rive ouest du Demerara par Pierre L’Amirault. Versailles était une des plus petites distilleries du Guyana et une des premières à faire vieillir son rhum, présenté dans plusieurs expositions à la fin du xixe siècle dont l’Exposition universelle de Paris en 1867. Versailles est un VAT still vieux de 250 ans. Il a la particularité d’avoir une cuve cylindrique en bois Greenheart. Le col-de-cygne est en cuivre et il est équipé d’une colonne de rectification. Le reflux et l’interaction des vapeurs avec le bois confèrent au rhum beaucoup de corps et de profondeur. Après la fermeture de la distillerie au début des années 1970, il déménagea à Enmore en 1977, à Uitvlugt en 1993 puis à Diamond en 1999.

 

Enmore

La plantation Enmore a été créée au début du xixe siècle par Edward Henry Porter sur la rive est du Demerara. L’alambic d’Enmore est un alambic Coffey à deux colonnes en bois Greenheart construit en 1880 d’après l’invention d’Aeneas Coffey en 1832. Il a été transféré à Uitvlugt à la fermeture de la distillerie en 1994 puis à Diamond après la fermeture de Uitvlugt en 1999.

 

                                                                                                                                       Enmore

 

Uitvlugt

Construite à la fin du xviiie siècle, Uitvlugt se situe sur la rive ouest du Demerara, près de la ville du même nom construite par les colons néerlandais en 1752. Uitvlugt était à l’origine équipée d’un double pot still en bois mais il a été remplacé dans les années 1920 par un alambic Savalle à quatre colonnes. Cet alambic brille par la diversité de styles qu’on peut en tirer en modifiant ses réglages. Demerara Distillers Limited l’utilise pour la production de neuf marques dont celles de distilleries disparues comme Skeldon, Blairmont ou Albion. Il se trouve à Diamond depuis la fermeture de Uitvlugt en 1999.

 

La consécration tardive des rhums du Guyana

 Les rhums du Guyana ont longtemps fait les délices de la Royal Navy. Depuis 1850, on servait quotidiennement aux marins de Sa Majesté une ration de rhum, le tot, composé de rhums des colonies britanniques : la Guyane, la Jamaïque, la Barbade et Trinité-et-Tobago. L’amiral de la flotte Peter Hill-Norton mit un terme à cette tradition en 1970, craignant qu’elle conduise à une mauvaise manipulation des machines sur les navires. La dernière ration est servie le 31 juillet 1970, un jour connu comme le Black Tot Day.

Les rhums du Guyana commencent véritablement à se faire connaître grâce aux sélections de Luca Gargano, figure de l’univers du rhum à la tête du négociant génois Velier. Ses premières sélections de rhums de Demerara remontent à 1996. En 2004, Gargano est invité au Guyana par son ami Yesu Persaud, alors président de Demerara Distillers Limited, pour y choisir des fûts. Ces rhums de caractère embouteillés dans la fameuse bouteille noire de Velier prennent petit à petit leur place parmi les plus recherchés du monde. Ce partenariat cesse en 2015 avec le départ à la retraite de Yesu Persaud et la volonté de Demerara Distillers Limited d’exploiter elle-même son patrimoine, à la réputation désormais largement établie auprès des amateurs de rhum.

Demerara Distillers Limited a sa propre marque (El Dorado) depuis 1992, année du lancement d’El Dorado 15 ans. Le projet remonte à la nationalisation de l’industrie du rhum en 1975. Les premières éditions contiennent des rhums d’Enmore, Uitvlugt et Diamond mais tout est aujourd’hui produit à Diamond. On trouve aujourd’hui sous la marque El Dorado des rhums produits avec les différents alambics qui se trouvent à Diamond dont les fameux Heritage Stills. À part El Dorado, on peut aussi trouver des rhums de Demerara chez de nombreux négociants qui se fournissent généralement auprès du courtier Scheer, à Amsterdam.

Après être longtemps restés dans l’ombre, les rhums de Demerara sont aujourd’hui parmi les plus prisés. Ils ont fait la célébrité de Velier et ont contribué à faire du rhum un alcool de premier plan, pavant ainsi la voie aux autres rhums des anciennes colonies britanniques comme Trinité-et-Tobago, avec Caroni, ou plus récemment la Jamaïque et la Barbade.

 

Skeldon 27 ans 1978 Velier

60,4 %, 70 cl, 2005, SWR

688 bouteilles

Ce Skeldon a une certaine réputation parmi les amateurs de rhum, celle d’être un des meilleurs rhums jamais embouteillés. Disons-le tout de suite, nous ne pouvons qu’approuver. Le nez s’ouvre sur des notes intenses de café (Sidra), de caramel au beurre salé, de caoutchouc, de réglisse, de cuir, de tabac et de pain d’épice. On note aussi de nombreux fruits exotiques (ananas, mangue) et rouges (fraise, fraise des bois). On retrouve tous ces éléments en bouche avec des notes de sel, d’hydrocarbures et d’agrumes (zeste de citron, orange amère). Le rhum, d’une puissance impressionnante, possède certainement une des longueurs en bouche les plus interminables qui soient, tous spiritueux confondus. Tant mieux, on ne veut pas que ça s’arrête !

 

Albion 16 ans 1994 Velier

60,4 %, 70 cl, 2011, #7100 – 7101 – 7102 – 7103 AN

Le goudron et le caoutchouc qui font la signature d’Albion sautent tout de suite aux narines. Le rhum est gras et d’une grande complexité avec des notes de mélasse, de caramel oublié sur le feu, de café et de fruits secs (raisins de Corinthe). Les fruits mûrs sont aussi présents en force avec la mangue, l’ananas, l’abricot et les agrumes (orange, citron). Relevons enfin une dimension saline et fraîche avec une touche de menthe et de réglisse qui persiste en finale. Ce rhum a toutes les qualités d’un grand Demerara : il est puissant, long en bouche et d’une inépuisable complexité.

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