Réputés depuis longtemps au sein du microcosme des amateurs de whisky, les embouteillages de Silvano Samaroli ont acquis une renommée mondiale au cours des années 2010. En témoigne la vente d’une bouteille de Laphroaig 1967 au prix de £61,000, en août 2018. Si certains embouteillages sont devenus iconiques, des gammes créées par Samaroli n’ont pas suscité la même attention. Retour sur l’une des plus célèbres d’entre elles : Red Dot & Flowers.
Sans retracer complètement le parcours de Silvano Samaroli dans l’industrie du whisky (que nous avions déjà traité dans cet article), il nous semble tout de même nécessaire de contextualiser la période où Silvano Samaroli dévoile la gamme Red Dot & Flowers, en 1990. En 1979, il réalise ses premiers embouteillages et lance la décennie suivante certains de ses embouteillages les plus mythiques parmi lesquels : Glenlivet 1955, Laphroaig 1967, Bowmore 1966 Bouquet, Tormore 1966… Chacune de ces quatre expressions a dépassé au moins une fois les £10,000 lors d’une vente aux enchères. Parmi les embouteilleurs indépendants, seul Gordon & MacPhail peut se targuer d’un tel exploit.
Les années 1990 seront plus difficiles pour Silvano Samaroli. Sa collaboration cesse avec la société R.W. Duthie, auprès de laquelle il sélectionnait ses fûts jusqu’alors,. Si pendant les deux décennies suivantes, Samaroli continue à sourcer des spiritueux d’excellente facture, il comprend dès le milieu des années 1990 que l’approvisionnement en fûts de qualité pour les négociants va s’avérer de plus en plus compliqué. Cette problématique est d’ailleurs toujours d’actualité. À partir des années 2000, Silvano Samaroli embouteille moins de whisky. La gamme Red Dot & Flowers fait partie de ces dernières expressions représentant la fin d’une période dorée pour le négociant italien.
La série Red Dot & Flowers est parfois confondue avec la série The Never Bottled Top Quality Whisky Series, toute première série de négoce commercialisée par Silvano Samaroli en 1981. Les embouteillages de ces deux gammes sont parfois regroupés sous la simple étiquette Flowers. Néanmoins, les deux collections sont construites tout à fait différemment. Pour la première, The Never Bottled Top Quality Whisky Series, Samaroli a sélectionné des single malts rares et confidentiels (Benromach 1967, Coleburn 1969, Glen Keith 1969, Millburn 1970, North Port 1966 et Teaninich 1959), mis en bouteille à 46 % avec leur millésime et leur mention d’âge. Au contraire, la gamme Red Dot & Flowers est composée d’embouteillages issus de distilleries légendaires (Ardbeg 1975, Bowmore 1972 et 1979, GlenDronach 1970, Glen Garioch “Coilltean” 1975 et Springbank 1965), proposés à différents degrés (43 %, 46 % et 57 %) et sans compte d’âge.
Le rapprochement entre les deux séries s’explique par la ressemblance de leurs étiquettes . Ce sont dans les deux cas des aquarelles dessinées par Samaroli lui-même, représentant des motifs floraux dans un style art nouveau. Toutefois les contre-étiquettes de la série The Never Bottled Top Quality Whisky Series sont identiques d’une référence à l’autre, alors que celles de la série Red Dot & Flowers sont uniques pour chaque embouteillage.
Cette attention que Samaroli prête au design des étiquettes est révélatrice de sa personnalité exigeante, à la fois sur le contenu et le contenant. Lors d’une interview retranscrite par Emmanuel Dron dans son ouvrage Collecting Scotch Whisky, l’embouteilleur italien explique qu’il est difficilement satisfait et qu’il préfère donc créer ses propres étiquettes afin d’obtenir un résultat qui lui ressemble.
Dans cette même interview, Silvano Samaroli se définit lui-même comme un “interprète de whisky”. Interpréter un whisky correspond selon lui à (au moins) deux critères : identifier le moment idéal pour embouteiller un whisky et choisir le bon degré d’embouteillage (degré naturel ou réduction). Rassemblant aux yeux de nombreux amateurs de whisky les meilleurs single malts jamais mis en bouteille, la gamme Red Dot & Flowers, composée d’expressions âgées de 11 à 25 ans, donne un excellent aperçu du travail effectué par Samaroli.
En mai 2024, la série Red Dot & Flowers complète s’est adjugée pour £23,500 lors d’une vente aux enchères. Individuellement, chacun des embouteillages qui la composent est plus abordable que certaines versions des mêmes distilleries, commercialisées par Samaroli. Ainsi, le Springbank 1965 est bien plus accessible (autour de £6,000) que le fameux 12 ans 100 Proof ou le Glen Cawdor 1964 (qui s’adjugent aux enchères au-delà des £10,000. Il en va de même pour le Bowmore 1972 (entre £3,000 et £4,000), comparé au célèbre Bowmore 1966 Bouquet (qui peut s’envoler au-delà de £50,000), et pour le Coilltean 1975 (en-dessous de £4,000) en comparaison avec le Glen Garioch 8 ans 1971 (pouvant coûter presque le double). En revanche, le GlenDronach 1970 reste la version la plus chère de cette distillerie, pour le millésime 1970 (autour de £4,000).
Nous vous proposons une dégustation exceptionnelle de trois des six expressions composant la gamme Red Dot & Flowers. Le GlenDronach 1970 a été dégusté précédemment dans le cadre d’un article traitant l’histoire de la distillerie.
BOWMORE 1972 Samaroli Red Dot & Flowers 43 % :
Couleur : ambre.
Nez : fin, complexe. Des senteurs minérales (coquillages), marines (sable fin), empyreumatiques (asphalte), fruitées (mangue, fruit de la passion, ananas), infusées (thé vert) et animales (bouillon de volaille) se succèdent, dévoilant une immense profondeur aromatique.
Bouche : élégante, acidulée. Deux séquences gustatives rythment la bouche. La première renforce l’ancrage marin de ce Bowmore, évoquant le cabillaud, le thon et la palourde. Ensuite, une légère acidité (citron, vinaigre balsamique) fait la transition avec une seconde séquence plus lascive, marquée par le fruit (pêche, citron vert, mangue).
Finale : mordante, chaleureuse. À une fin de bouche poivrée succède une entame de finale cireuse et miellée. De fines saveurs herbacées de menthe et de mélisse viennent ensuite recouvrir le palais. Enfin, la dégustation se prolonge avec des notes d’huîtres et de tabac.
Quel charme ! On évoque souvent l’exotisme des Bowmore des années 1960 et du début des années 1970. Cette version s’affranchit de ce profil pour révéler une complexité immense et une profondeur absolument fascinante, malgré son faible degré. Certainement l’un des plus grands Bowmore jamais mis en bouteille.
Couleur : ambre.
Nez : fin, complexe. Des senteurs minérales (coquillages), marines (sable fin), empyreumatiques (asphalte), fruitées (mangue, fruit de la passion, ananas), infusées (thé vert) et animales (bouillon de volaille) se succèdent, dévoilant une immense profondeur aromatique.
Bouche : élégante, acidulée. Deux séquences gustatives rythment la bouche. La première renforce l’ancrage marin de ce Bowmore, évoquant le cabillaud, le thon et la palourde. Ensuite, une légère acidité (citron, vinaigre balsamique) fait la transition avec une seconde séquence plus lascive, marquée par le fruit (pêche, citron vert, mangue).
Finale : mordante, chaleureuse. À une fin de bouche poivrée succède une entame de finale cireuse et miellée. De fines saveurs herbacées de menthe et de mélisse viennent ensuite recouvrir le palais. Enfin, la dégustation se prolonge avec des notes d’huîtres et de tabac.
SPRINGBANK 1965 Samaroli Red Dot & Flowers 46 % :
Couleur : jaune doré.
Nez : profond, capiteux. Admirable de complexité, le nez de ce Springbank est marqué par des parfums de fruit de la passion, de terre sèche, de papier journal, de rose blanche, de noix de coco, de pansement, de cire, d’huile d’olive…
Bouche : riche, équilibrée. Poivrée, minérale, cireuse et fruitée (noix, amande), l’attaque en bouche est pleine d’allant. Ensuite, des saveurs de citron vert, de fleurs (lavande, violette, fleur d’oranger) et de bois de palo santo font évoluer la dégustation vers un registre plus aérien. La fin de bouche est empreinte du sceau de la gourmandise (beurre salé, flan).
Finale : élégante, harmonieuse. Dans la continuité de la fin de bouche, l’entame de finale est marquée par l'onctuosité d’une mousse au chocolat. Puis, des notes herbacées (agave, anis) apportent de la tension à cette finale. Enfin, des notes de cigare en combustion envahissent l’arrière-bouche.
La densité de ce Springbank est exceptionnelle. Le distillat rayonne, parfaitement mis en valeur par le vieillissement. Certaines séquences capiteuses et aériennes sont tout simplement magnifiques. Les dégustateurs les plus exigeants pourront se poser la question de savoir si, tel le Springbank 12 ans Sherry Wood 100 proof, il n’aurait pas mérité d’être embouteillé à ce même degré. Pour le reste, c’est un whisky fantastique.
COILLTEAN 1975 Samaroli Red Dot & Flowers 57 % :
Couleur : or paille.
Nez : typé, précis. La palette aromatique, par ses teintes minérales (craie), fumées (thé noir), maltées (moût), cireuses (parafine) et synthétiques (bâton de colle) montre beaucoup d’étoffe et un ancrage “old-school” évident. Des parfums acidulés de fruit de la passion se logent en arrière-plan.
Bouche : vive, pleine de tension. Profondément maltée (biscuit aux céréales, bière blonde), l’attaque de bouche est pleine de gourmandise (noisette). Puis, des vagues d’épices et de sels envahissent la palette gustative. La fin de bouche est légèrement fumée.
Finale : altière, concentrée. Les notes de radis et de gingembre de l’entame de finale apportent un registre racinaire à la dégustation. Ensuite, des saveurs animales de viande (côte d’agneau et de bœuf) et de poisson (sardine fumée) font écho au caractère fumé de la fin de bouche. L’arrière-bouche est à la fois ronde et cireuse.
Après la volupté de Bowmore et l’équilibre de Springbank, Glen Garioch révèle un whisky droit, plein de tension dont les dégustateurs les plus attentifs pourront apprécier le très beau voile exotique.