Port Ellen

IAN BUXTON 02.11.2020

Muette depuis 1983, la distillerie au sud d’Islay, propriété de Diageo, devrait redémarrer sa production dès 2020. Mythique, elle reste pour les amateurs, investisseurs et collectionneurs, l’une des plus belles références. Le point par Ian Buxton.

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«Les cinq cents premières bouteilles ne sont pas difficiles à trouver, mais les six dernières sont impossibles !» Ainsi parle Jon Beach, propriétaire du Fiddler’s Highland Restaurant, sur les rives du Loch Ness, et amateur notoire de cette distillerie emblématique d’Islay. Elle est nimbée de mythes et de légendes en si grand nombre qu’il convient de rappeler quelques faits essentiels. La distillerie est fondée en 1824. Après différents changements de propriétaires, chose habituelle au XIXe siècle, elle est absorbée en 1925 par la Distillers Company Limited (ancêtre de l’actuelle multinationale Diageo). Silencieuse de 1930 à 1967, elle ferme définitivement ses portes en 1983 après une brève période d’activité.

Par la suite, et ce pendant une assez longue période, personne ne s’en soucie particulièrement. Le style tourbé d’Islay n’étant pas à la mode et les assembleurs n’en utilisant que d’infimes quantités, la production de Port Ellen était par conséquent presque exclusivement destinée aux blends de DCL/Diageo. Pour le dire sans ambages, la distillerie ne manquait à personne. Hormis pour l’unique embouteillage officiel produit pendant ses années d’activité (l’introuvable Queen’s Visit 12 ans datant d’août 1980, l’un de ces “six derniers” flacons légendaires que les collectionneurs désespèrent de dénicher, et qui serait probablement estimé aujourd’hui à 16 600 euros la bouteille), l’intérêt pour Port Ellen n’est véritablement né qu’à partir de 2001 avec le lancement par Diageo de sa gamme Special Releases.

Si les expressions de cette gamme ont été tout d’abord considérées comme onéreuses - plus de 110 euros, ce qui correspondait à l’époque à la catégorie super-premium, surtout pour une obscure distillerie comme Port Ellen -, les choses ont depuis bien changé. Un caviste britannique bien connu propose aujourd’hui le flacon Port Ellen 1st Release pour la modique somme de 4 900 euros ! Les bouteilles les plus récentes de la gamme dépassent les 2 763 euros. La politique tarifaire mise en œuvre par Diageo depuis 2012 a suscité quelques critiques, mais la firme s’est contentée, en toute justice, de suivre le marché secondaire et de prendre un bénéfice qui, sinon, serait allé aux spéculateurs.

Andy Simpson, analyste pour RareWhisky101.com, publie un indice mesurant l’évolution des prix de Port Ellen dans le temps. «L’indice Port Ellen réalise encore de meilleures performances que le marché général, déclare-t-il. Sur une même période, la mesure la plus générale du marché des whiskies rares, à savoir l’indice Apex 1 000, enregistre une hausse de 12,43 %, tandis que l’indice Port Ellen atteint 16,93 %. Cette distillerie intéresse toujours à l’évidence trois types d’acheteurs : les connaisseurs, les collectionneurs et les investisseurs.»

Ces chiffres sont au demeurant tous en libre accès sur le site web de RareWhisky101, de même que des rapports annuels qui constituent une mine d’informations, de détails et de commentaires du plus haut intérêt pour tout collectionneur ou investisseur en whisky.

Cependant, quelles que soient les perspectives s’offrant aux bouteilles de Port Ellen qui circulent sur le marché (et elles paraissent des plus positives), l’information la plus passionnante concerne la distillerie même. Celle-ci est effet sur le point de rouvrir ses portes. Après avoir juré pendant des années que Port Ellen resterait définitivement fermée, Diageo a fait sensation dans le petit monde du whisky en annonçant en octobre 2017 investir près de 35 millions de livres sterling pour la remise à neuf et le réaménagement de Port Ellen, mais aussi de Brora, tout aussi réputée.

Redémarrage en 2020

L’objectif, c’est le redémarrage de la production d’ici 2020. Un calcul rapide montre cependant que les premières mises en bouteille n’auront pas lieu avant 2032 au moins, Diageo projetant, semble-t-il, de commercialiser une expression âgée de 12 ans. Mais comme quiconque a visité le site ne peut l’ignorer, cela nécessitera un travail considérable. Un nouveau bâtiment doit être construit dans la cour, entre la malterie et les anciens chais, complété par une nouvelle paire d’alambics et de condenseurs. Diageo possède des dessins et des archives montrant en détail les anciennes installations, ce qui devrait faciliter la reconstruction dont l’ambition est de recréer à terme les caractéristiques de l’eau-de-vie produite à la fin des années 1970 et au début des années 1980, avec l’avantage d’une connaissance considérablement améliorée des techniques de maturation. Lorsque la nouvelle distillerie Port Ellen tournera à plein rendement, elle produira quelque 800 000 litres d’alcool, soit moins de la moitié des capacités de production de l’ancienne distillerie.

Des installations d’accueil des visiteurs sont bien entendu prévues, car Diageo ambitionne ici de créer une marque pour un avenir à long terme. La valeur des bouteilles existantes risque-t-elle d’en pâtir ? Selon la plupart des commentateurs, c’est peu probable, d’autant plus que cette annonce ne peut que renforcer l’intérêt et la demande pour ces expressions. Selon Andy Simpson, la nouvelle de la réouverture «a eu peu d’effet sur le mouvement des prix. Les bouteilles de Port Ellen ont régulièrement dépassé le marché général et [Diageo] semble vouloir maintenir le statu quo… c’est-à-dire une croissance générale de valeur».

On peut s’attendre à ce que les conséquences potentielles de sa décision d’investissement ont été soigneusement soupesées par Diageo et que la multinationale fait entièrement confiance aux tendances prévisibles. L’avenir s’annonce donc prometteur pour Port Ellen qui vit aujourd’hui un extraordinaire retournement de situation.

Après quelque deux siècles d’existence, la réputation de la distillerie Port Ellen, jadis mésestimée, puis fermée et en voie de disparition, est aujourd’hui à son zénith. Pour de nombreux amateurs de single malts, Port Ellen est le dram suprême et la visite de son site l’apogée de tout séjour dans l’île d’Islay. Cette distillerie incarne un renouvellement sans précédent qui atteste de la puissance remarquable de l’actuel marché du whisky.

Il est à espérer que sa nouvelle vie sera aussi longue qu’heureuse.

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