Noh Whisky
La série Noh Whisky est certainement une des plus célèbres du whisky japonais avec les Playing Cards de Hanyu, tant par la qualité des whiskies qui y figurent que pour ses liens avec la culture classique japonaise.
Number One Drinks et Kamiasobi
Noriko Kakuda Croll et David Croll fondent une société d’importation de whisky au Japon à la fin des années 1990. C’est grâce à cette activité qu’ils rencontrent Marcin Miller, rédacteur et éditeur de Whisky Magazine. Ensemble, ils créent une édition japonaise de Whisky Magazine et le Whisky Live en 2000. En 2005, ils fondent Number One Drinks Company, dédiée à l’exportation de whiskies japonais d’exception comme Karuizawa ou Hanyu, d’abord en Europe puis à l’international. Après avoir essayé de racheter Karuizawa à Kirin, ils se consolent en mettant la main sur le stock de la distillerie (364 fûts) en août 2011, après d’âpres négociations.
C’est à eux qu’on doit la série Noh Whisky, sortie en soutien à la troupe Kamiasobi, fondée en 1997 par cinq jeunes hommes issus de familles impliquées dans le théâtre nô depuis des siècles. La troupe et Number One Drinks font connaissance lors du Whisky Live! Japan 2008 où Kamiasobi interprète des extraits d’une pièce sur le dieu du whisky. On retrouve leurs masques et parfois les comédiens (masqués et en costume) sur les étiquettes de la gamme Noh Whisky. En retour, la troupe perçoit des royalties.
Le théâtre nô
Le nô est un style de théâtre dont les origines remontent au xive siècle. Il dérive de deux divertissements populaires plus anciens, le dengaku et le sarugaku, dont le maître de sarugaku Kan’ami Kiyotsugu (1333-1383) a fait la synthèse. Son travail est poursuivi par son fils Zeami Motokiyo (1363-1443), auteur de nombreuses pièces et de traités sur l’art de l’acteur. Après une représentation en 1374, le shogun Ashikaga Yoshimitsu prend la troupe sous sa protection, assurant ainsi la pérennité du genre dont les règles demeurent inchangées depuis.
Écrits dans une langue littéraire et poétique, les livrets de nô s’inspirent de légendes et de grandes œuvres de la littérature classique. Il y est souvent question de guerres, d’histoires d’amour, de jalousies… Le drame est chanté et dansé par les comédiens, accompagnés par une flûte traversière en bambou, deux ou trois tambours et un chœur. Le décor se limite à un plateau carré nu, un toit et une paroi en fond de scène sur laquelle est représenté un pin, les autres éléments étant décrits par le chœur.
Certaines pièces se déroulent sur un mode linéaire et réaliste ; d’autres font intervenir des personnages surnaturels. Dans ces dernières, il y a deux personnages : un acteur principal (shite) masqué, un acteur secondaire (waki) non masqué et parfois des compagnons (tsure). Le personnage principal apparaît d’abord sous sa forme réincarnée puis, à l’issue d’un dialogue avec le personnage secondaire, il révèle sa véritable nature et réapparaît sous la forme de son fantôme revivant un événement passé.
Si certains masques représentent un personnage précis, la plupart représentent plutôt des catégories de personnages. Il peut s’agir d’un démon, d’un vieillard, d’une femme, d’un dieu, etc. On les identifie grâce à différents éléments comme les cheveux, la peau, la forme des yeux et de la bouche. Les masques, généralement d’une seule pièce, sont en cyprès japonais (hinoki) à l’exception des plus anciens, en camphrier ou en paulownia. Ils sont laqués au revers puis enduits d’une préparation à base de poudre de coquilles d’huître appelée gofun. Après séchage et polissage, les yeux, la bouche et les cheveux sont peints à l’encre de Chine et avec des pigments. Ils sont ensuite vieillis artificiellement pour leur donner un caractère intemporel.
Les acteurs évoluent selon un enchaînement de mouvements codifiés (kata). Si la plupart sont abstraits, certains évoquent un sentiment ou un geste. Les émotions des personnages qu’ils incarnent sont exprimées selon l’orientation du masque, ce qui en fait un élément essentiel du théâtre nô.
Théâtre national du nô (Shibuya, Tokyo)
La série Noh Whisky
On l’ignore souvent mais la gamme est inaugurée avec un whisky écossais : un Royal Brackla 1993 suivi d’un Caol Ila 1995, tous deux réduits à 46 % et embouteillés dans un format de 20 cl. Deux Karuizawa sortent en 2010 dans cette même contenance, cette fois sans réduction. On remarque aussi la présence dans la gamme de deux Hanyu, embouteillés en 2009 et 2010. Après cela, la série sera entièrement dédiée à Karuizawa.
Elle couvre l’essentiel de l’histoire de la distillerie, puisqu’y figurent des millésimes du début des années 1970 jusqu’à la fermeture, en 2000. La sélection est assez représentative de ce qu’on trouve chez Karuizawa : de nombreux fûts des années 1980 (et plus particulièrement de la première moitié, période faste pour ce whisky, avant le début du déclin au milieu de la décennie) ; une bonne part de fûts des années 1990 ; quelques rares millésimes des années 1970 et aucun des années 1960. Il en va de même pour les fûts : avec une majorité de fûts de sherry, quelques fûts de bourbon et trois fûts de vin (des cépages cabernet sauvignon et merlot) dont au moins deux sont issus de la Mercian Katsunuma Winery, propriété de Sanraku Shuzo depuis 1961 (renommé Mercian en 1990), ancien propriétaire de Karuizawa. Marcin Miller a cependant déclaré que la gamme avait été pensée pour des vieillissements originaux dont le profil ne correspondait pas à ce que proposait Number One Drinks sous les étiquettes habituelles.
Nous n’en ferons pas la liste ici mais la série s’est poursuivie avec des embouteillages de gin, vieillis en fût de Karuizawa et en fût de mizunara, le chêne japonais. Ki Noh Bi est une variation de Ki No Bi, le gin produit par The Kyoto Distillery, fondée en 2014 par Noriko Kakuda Croll, David Croll et Marcin Miller, à l’origine de Number One Drinks. Comme son nom l’indique, la distillerie est située à Kyoto et élabore son gin à partir d’ingrédients cultivés pour la plupart dans la préfecture du même nom, comme le yuzu, le sansho ou le gyokuro cultivés au sud de Kyoto, à Uji. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la série en est à sa vingt-sixième édition.
Liste des embouteillages de la gamme
Royal Brackla 12 ans 1993 Kamiasobi’s Original Single Malt Whisky
46 %, 20 cl
Caol Ila 12 ans 1995 Noh Whisky
46 %, 20 cl, Sherry Hogshead
Karuizawa 19 ans 1991 Noh Whisky
60,8 %, 20 cl, 2010, Sherry Butt #3206
Karuizawa 13 ans 1997 Noh Whisky
60,2 %, 20 cl, 2010, Sherry Butt #3312
Karuizawa 30 ans 1977 Noh Whisky
62,8 %, 70 cl, 2008, Sherry Butt #7026, 528 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Karuizawa 13 ans 1995 Noh Whisky
63 %, 75 cl, 2008, Japanese Wine Cask #5007, 246 bouteilles
Karuizawa 12 ans 1995 Noh Whisky
63 %, 70 cl, 2008, Japanese Wine Cask #5004, 186 bouteilles
Karuizawa 32 ans 1976 Noh Whisky
63 %, 70 cl, 2009, Sherry Butt #6719, 486 bouteilles
Karuizawa 14 ans 1995 Noh Whisky
59,4 %, 70 cl, 2009, Wine Cask #5039, 222 bouteilles pour Dr Jekill’s Pub (Oslo, Norvège)
Karuizawa 32 ans 1977 Noh Whisky
60,7 %, 70 cl, 2010, Sherry Butt #4592, 190 bouteilles
Karuizawa 15 ans 1994 Noh Whisky
62,7 %, 70 cl, 2010, Sherry Butt #270, 480 bouteilles
Karuizawa Multi-Vintages #1 (1981, 1982, 1983, 1984) Noh Whisky
59,1 %, 70 cl, 2011, Sherry Butt & Bourbon Cask #6405 #4973 #8184 #6437, 1 500 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Karuizawa 32 ans Cask 1980 Noh Whisky
50,4 %, 70 cl, 2012, Sherry Butt #7614, 102 bouteilles pour Taïwan
Karuizawa 31 ans 1981 Noh Whisky
58,6 %, 70 cl, 2012, Sherry Cask #4676, 186 bouteilles
Karuizawa 29 ans 1982 Noh Whisky
58,8 %, 70 cl, 2012, Bourbon Cask #8529, 411 bouteilles pour The Whisky Exchange (Royaume-Uni)
Karuizawa 28 ans 1983 Noh Whisky
57,2 %, 70 cl, 2012, Sherry Butt #7576, 571 bouteilles
Karuizawa 41 ans 1971 Noh Whisky
63,7 %, 70 cl, 2013, Bourbon Cask #1842, 82 bouteilles pour Prineus GmbH (Allemagne)
Karuizawa 32 ans 1980 Noh Whisky
59,2 %, 70 cl, 2013, Sherry Butt #3565, 335 bouteilles
Karuizawa 31 ans 1981 Noh Whisky
58,9 %, 70 cl, 2013, Sherry Butt #348, 207 bouteilles pour la Suède et le Danemark
Karuizawa 31 ans 1981 Noh Whisky
66,3 %, 70 cl, 2013, Sherry Butt #4333, 94 bouteilles pour la Belgique
Karuizawa 31 ans 1981 Noh Whisky
62,3 %, 75 cl, 2013, Sherry Butt #8775, 196 bouteilles pour K&L Wine Merchants (États-Unis)
Karuizawa 31 ans 1981 Noh Whisky
56 %, 70 cl, 2013, Sherry Butt #155, 595 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Karuizawa 29 ans 1983 Noh Whisky
59,4 %, 70 cl, 2013, Sherry Hogshead #5322, 205 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Karuizawa 29 ans 1983 Noh Whisky
54,3 %, 70 cl, 2013, Bourbon Cask #8552, 130 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Karuizawa 23 ans 1989 Noh Whisky
63,9 %, 70 cl, 2013, Sherry Butt #7893, 302 bouteilles pour Prineus GmbH (Allemagne)
Karuizawa 13 ans 1999 Noh Whisky
57,7 %, 75 cl, 2013, Sherry Butt #869, 500 bouteilles pour K&L Wine Merchants (États-Unis)
Karuizawa 30 ans 1984 Noh Whisky
61,4 %, 70 cl, 2014, Sherry Cask #3032, 279 bouteilles pour le Japon
Karuizawa 30 ans 1984 Noh Whisky
58,2 %, 70 cl, 2015, Sherry Cask #2030, 522 bouteilles pour Isetan (Japon)
Karuizawa 15 ans 2000 Noh Whisky
62,2 %, 70 cl, 2015, Sherry Cask #2326, 495 bouteilles
Karuizawa 22 ans 1994 Noh Whisky
62,3 %, 70 cl, 2016, Sherry Cask #7640, 435 bouteilles
Karuizawa 21 ans 1994 Noh Whisky
63,6 %, 70 cl, 2016, Sherry Cask #6149, 380 bouteilles
Hanyu 21 ans 1988 Noh Whisky
55,6 %, 70 cl, 2009, Spanish Oak Sherry Butt, #9306, 625 bouteilles
Hanyu 10 ans 2000 Noh Whisky
61 %, 70 cl, 2010, Puncheon #6066, 463 bouteilles
Notes de dégustation
Karuizawa 31 ans 1981 Noh Whisky
56 %, 70 cl, 2013, Sherry Butt #155, 595 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Ce Karuizawa se démarque par des notes de mirabelle, de kumquat et de physalis qui viennent apporter autant de nuances aux marqueurs typiques de la maison comme l’encens, le vieux cuir ou le bois de santal avec, par moments, quelques odeurs animales qui nous emmènent vers le gibier et le musc. On relève aussi des notes plus gourmandes de chocolat noir et de fruits secs (raisin, figue). L’ensemble est d’une finesse remarquable.
Karuizawa 30 ans 1977 Noh Whisky
62,8 %, 70 cl, 2008, Sherry Butt #7026, 528 bouteilles pour La Maison du Whisky (France)
Les Karuizawa des années 1970 sont souvent assez austères et celui-là ne fait pas exception. Il s’ouvre sur des notes de noix, de vieux cuir, de réglisse et de goudron. Le feu de bois et le cigare sont aussi très présents, adoucis par quelques raisins de Corinthe. En bouche, on hésite entre un café et un thé fumé, toujours avec des notes de fruits à coque prononcées (noix, châtaigne). La menthe apporte une certaine fraîcheur à l’ensemble. Ce 1977 est un whisky difficile à apprivoiser pour le dégustateur, un peu comme le fameux 1967 fût #6426. Au-delà de sa puissance, il a ce caractère ancien, sombre. C’est ce qui lui donne son charme.
Sources
BRINDEAU Véronique (s.d.), « Le Théâtre Nô », Philharmonie de Paris. https://pad.philharmoniedeparis.fr/le-theatre-no.aspx#
https://nonjatta.blogspot.com/
TSCHUDIN Jean-Jacques, Histoire du théâtre classique japonais, Paris, Anacharsis, 2011, 506 p.
VAN EYCKEN Stefan, Whisky Rising. The Definitive Guide to the Finest Whiskies and Distillers of Japan, Kennebunkport, Cider Mill Press, 2017, 400 p.
www65.atwiki.jp/jwhisky/, All Japanese Whisky Products List, Comic Market 95, 2018, 352 p.