Karuizawa et la seconde moitié du XXe siècle

Après la mise en sommeil de Karuizawa à la fin de l’année 2000, il était encore possible de se rendre à la distillerie pour se procurer les derniers single casks exposés sur les étagères du centre d’accueil des visiteurs. Appartenant à la collection mythique des Single Cask Malt Whisky, ces bouteilles, étiquetées très simplement, retracent quatre décennies de production à Karuizawa. Une histoire mouvementée, rythmée par des phases de croissance et de déclin qui ont construit sa légende après sa fermeture en 2001.

 

Première incursion sur le marché français

Étiquettes blanches, tampon de la distillerie avec le numéro de fût, mention manuscrite  (jusqu’en 2012) de l’année de distillation, date précise de mise en bouteille, degré d’alcool et indication “checked by” (qui disparaît également en 2012) avec le nom de Yoshiyuki Nakazato, le dernier manager de la distillerie jusqu’à sa fermeture… La sobriété de la collection Single Cask Malt Whisky contraste avec le caractère artistique d’autres séries.

 

C’est avec un embouteillage de cette collection que le marché français découvre Karuizawa. La Maison du Whisky importe en 2007 quelques bouteilles du fût #6978 (millésime 1992).  Si les stocks de ce Karuizawa s’écoulent lentement, l’engouement des amateurs de whisky ne tarde pas à se manifester et se confirme à la fin de l’année 2009, avec la mise en bouteille du fût #6426 (millésime 1967), partagé entre La Maison du Whisky et The Whisky Exchange (dans le cadre de leur dixième anniversaire). Les 232 bouteilles que possédait La Maison du Whisky se sont vendues en quelques semaines : une rapidité qui illustre le succès de Karuizawa, considéré comme l’un des plus grands single malts de la planète. 

 

La collection Single Malt Cask Whisky est la seule dans laquelle ont été embouteillées toutes les décennies de production de la distillerie Karuizawa (hormis la décennie 1950). À travers une dégustation de quatre whiskies, nous vous proposons de voyager tout au long de la seconde moitié du XXe siècle.

 

Les années 1960

Comme un grand nombre de distilleries de whisky, dans les années 1960 et 1970, Karuizawa ne réservait pas sa production au  single malt. Ses whiskies rentraient dans la composition des blends de la firme Sanraku Ocean, dans lesquels les whiskies de malt étaient par ailleurs minoritaires. Pendant cette décennie, l’activité de la tonnellerie intégrée à la distillerie fut réorientée vers la réparation des fûts destinés à l’élevage du whisky : des anciens fûts de xérès de second remplissage de 400 litres et des puncheons de chêne américain d’environ 550 litres.

 

Karuizawa 1967 #6426 58,4 % : 

 

Couleur : acajou foncé.

 

Nez : dense, aérien. Tour à tour, des parfums de champignon, de fruits exotiques (passion, kaki), de chocolat noir, de gros sel, d’épices (poivre gris, cardamome), de gelée de coing, de liège, de crème de marrons dévoilent une complexite olfactive qui ne s’appréhende qu’en prenant le temps.


Bouche : veloutée, équilibrée. C’est l’immense noblesse du sherry qui marque l’attaque de bouche. Puis, se dévoilent des notes d’épices (poivre, gingembre), de café, d’infusion et de tarte aux fruits rouges, d’orangettes, de crème de citron… La gelée de coing et la crème de marrons persistent.

 

Finale : à la fois vive et d’une grande justesse d’expression. La finale est marquée par une amertume évoquant la bière, accompagnée de beaucoup de fruits et de menthe… Puis surgissent de nouveau des notes de champignons (pleurote, trompette de la mort) suivies d’inédites notes animales en arrière-bouche.

 

Ce Karuizawa est un monument du whisky avec ses notes animales, végétales, exotiques, épicées, amères, puis la noble influence du sherry. C’est une eau-de-vie d’une rare complexité. Cette version est toujours extrêmement recherchée par les collectionneurs et les amateurs de la distillerie. Elle s’adjuge au-delà des £10.000 sur le marché des enchères (au même titre que l’embouteillage de The Whisky Exchange).

 

Les années 1970

Cette décennie voit la commercialisation du premier single malt par la distillerie. En juillet 1976, Sanraku Ocean dévoile le single malt Karuizawa, qui est tout simplement le premier single malt mis en vente sur le marché japonais. Et ce, bien avant d’autres groupes historiques qui, tels Suntory et Nikka, ne commercialisent leur premier single malt qu’en 1984. C’est également une décennie durant laquelle la production de la distillerie augmente de façon significative. La distillerie se modernise, s’équipant notamment de nouvelles cuves de fermentation. La chauffe au charbon des alambics est également abandonnée dans les années 1970. 

 

Karuizawa 1978 #8383 63 % :

Couleur : acajou.

 

Nez : ample, frais. Évoquant la terre humide, le nez révèle ensuite des notes de mousse, de caoutchouc brûlé, de mélasse puis des parfums oxydatifs rappelant les vins du Jura. À l’aération, des parfums de nougat, de brioche sortie du four et de cannelle révèlent la gourmandise de la palette olfactive. 

 

Bouche : vive, équilibrée. La bouche se dévoile en trois séquences. Premier temps : une avalanche de fruits jaunes et rouges rencontrent des saveurs épicées et pimentées très relevées. Second temps : c’est la gourmandise qui s’installe par de subtiles notes de beurre salé. Troisième temps : une fin de bouche animale (pâté de lapin).

 

Finale : riche, tranchée. L’entame de finale fait écho à l’attaque de bouche : elle est relevée, presque brûlante. Puis, la finale vient retrouver ses notes viandées par ses parfums de jambon sec. L’arrière-bouche séduit par ses saveurs de pêche et de fruit de la passion.

 

À l’instar du fût #6426, la complexité de ce Karuizawa est immense. Cette version se distingue par son caractère bien plus affirmé, son nez oxydatif et sa bouche puissante ! Beaucoup de densité, tempérée par de magnifiques séquences fruitées et délicatement animales… C’est à la fois la profondeur et la précision. Ce Karuizawa est plus abordable : il s’adjuge aujourd’hui aux enchères entre £3,600 et £4,000.

 

Les années 1980

La production ayant augmenté à la fin des années 1970, il n’est pas surprenant que les single malts produits dans les années 1980 (notamment jusqu’à 1984) demeurent  les plus nombreux aujourd’hui. Néanmoins, la production décroît à partir du milieu de la décennie, conséquence du désintérêt croissant de la population japonaise pour le whisky - et en particulier pour le style robuste incarné par Karuizawa, auquel elle préfère les whiskies plus légers. Un adjectif que l’on utilise rarement pour décrire Karuizawa…

 

Karuizawa 1981 #2634 55,2 % : 

Couleur : acajou foncé.

 

Nez : riche, relevé. D’une grande densité, le nez est marqué par des parfums minéraux (vin blanc sec), de café (cold brew), de tarte à la framboise, d’anis étoilé, de tabac blond à rouler, de chocolat au lait, de rhum de Barbade (noix de coco)... La complexité est remarquable. 

 

Bouche : harmonieuse, souple. D’une grande délicatesse, la bouche est un appel au quatre heures, avec ses notes de café et ses gaufrettes. Puis, le milieu de bouche dévoile tout le caractère de ce Karuizawa, marqué d’arômes de viande blanche rôtie (poulet, lapin), de plantes aromatiques (laurier, romarin) et de mélasse. Une fumée opulente se diffuse en fin de bouche.

 

Finale : intense, relevée. Des notes poudrées (café, chocolat noir) tapissent l’entame de finale. Ensuite, ce sont des saveurs de miel, de thym, de citron, de noix et de muscade qui rythment la dégustation, précédant de superbes effluves de jambon ibérique.

 

Distillée à une période où Karuizawa abandonne la chauffe au charbon, cette version revendique un bel équilibre en bouche ainsi que des notes tertiaires et musquées très subtiles. Néanmoins, le style est toujours présent et inimitable : c’est un voyage sans fin à travers des contrées herbacées, fruitées, pâtissières, minérales, animales, torréfiées, chocolatées, fumées… Ce Karuizawa est réputé comme étant l’un des plus beaux fûts ayant été embouteillé par La Maison du Whisky. Sur le marché secondaire, il s'adjuge à environ £5,000.

 

Les années 1990 

Conséquence de l’augmentation de la taxe sur la production de whisky en 1984, du ralentissement de l’économie japonaise, de la réduction des droits de douane sur l’importation de scotch et du désintérêt croissant des Japonais pour le whisky au profit d’autres boissons, la distillerie Karuizawa vit une période de récession. Du point de vue de la production, le milieu des années 1990 marque également pour Karuizawa l’abandon de l’orge maltée tourbée. Cette décennie conduit à l’arrêt de la production le 31 décembre 2000 : désormais, les trois employés de la distillerie ne s’occuperont plus que de l’entretien de la distillerie et de la mise en bouteille de certaines éditions pour la boutique.

 

Karuizawa 1999 #867 58,9 % :

 

Couleur : acajou foncé.

 

Nez : riche, massif. Après un peu d’aération, des parfums de citron vert, de vanille bourbon, de vinaigre de Xérès, de caoutchouc, de moutarde et de miel de fleurs dévoilent un Karuizawa haut en couleurs. Quelques notes de terre sèche à l’aération.

 

Bouche : ronde, ample. L’attaque de bouche est abondamment fruitée, presque sucrée (orange, clémentines) ! Le milieu de bouche reste dans la gourmandise, avec ses saveurs de noix et de cannelle. La fin de bouche est citronnée. 

 

Finale : d’une belle longueur. Des arômes de crème de marrons précèdent des saveurs animales (charcuterie). 

 

Nettement plus jeune que les trois versions précédentes,  le fût #867 dévoile un caractère fruité plus marqué. Même si cette période est moins recherchée par les amateurs et les collectionneurs, il reste bien côté : il est difficile de l’acquérir en déboursant moins de £2,500.

 

 

Pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir leur connaissance de l’histoire de Karuizawa, nous ne saurons que trop vous recommander la lecture des écrits de Stefan van Eycken et de Dave Broom, dont cet article s’est nourri.

 

Stanislas Kindroz

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