Bien qu’ayant rejoint des consœurs comme Port Ellen et Brora au panthéon des grandes distilleries de whisky définitivement fermées (toutes les autres sont écossaises !), Karuizawa reste encore très mystérieuse. Sefan Van Eycken nous ouvre les portes du Saint Graal.
La distillerie Karuizawa est fondée cette année-là. Après 1952, sa société mère, Daikoku Budoshu, s’était essayée à la production de whisky dans différents sites, mais avec de grandes difficultés et de très mauvais résultats. Le personnel de cette distillerie (Shiojiri), convaincu que Karuizawa, où la compagnie possédait un vignoble, serait un site bien mieux adapté, adresse une lettre au siège de l’entreprise à Tokyo. Ce courrier n’étant jamais arrivé à destination et lassés d’attendre une hypothétique réponse, plusieurs employés font le voyage de Tokyo pour s’entretenir avec la direction. Sans cette démarche audacieuse, la distillerie Karuizawa n’existerait pas.
Contrairement à une opinion répandue, Yamazaki n’est pas le tout premier whisky single malt japonais jamais commercialisé. En effet, huit ans auparavant, un single malt produit par Karuizawa était lancé sous la marque Sanraku Ocean. L’actuel empereur du Japon avait eu l’occasion de le déguster lors d’un séjour à Karuizawa en 1978, alors qu’il était encore prince héritier, et l’avait apprécié au point d’en commander plusieurs bouteilles.
L’essentiel de la production de la distillerie Karuizawa a été élevé en fûts de xérès, mais depuis l’acquisition en 2011 par Number One Drinks de la totalité de l’inventaire restant (près de 400 fûts en tout), quelques Karuizawa élevés en fûts de bourbon ont fait surface. Ceux qui les ont goûtés signalent souvent leurs arômes et saveurs puissamment marqués par le xérès, en dépit de la mention “ex-fût de bourbon” figurant sur l’étiquette. Cela pourrait s’expliquer par les assemblages de malts coutumièrement pratiqués par la distillerie, mélangeant le contenu des fûts après 8 ans, voire 10 ans de maturation, pour lisser les différences et assurer une meilleure homogénéité gustative. C’est ainsi qu’une partie du contenu de ces ex-fûts de bourbon a pu séjourner un certain temps dans des fûts de xérès. Cela dit sans la moindre certitude… Le mystère reste entier.
Au début des années 1960, la distillerie compte 47 employés travaillant en 3 équipes : 7 “chauffeurs” (chargés de l’approvisionnement en combustible), 8 salariés chargés des opérations d’empâtage et de fermentation, 8 travaillant dans la salle des alambics, 6 dans la tonnellerie, 8 dans les chais et 10 dans le laboratoire et les services administratifs. Après 1983, année marquant le début du recul de la demande de whisky au Japon, la production est progressivement réduite jusqu’en 2000, année où a lieu la dernière distillation officielle : la distillerie ne compte alors plus que trois employés. Ces derniers ont encore travaillé dans l’établissement un certain nombre d’années, mais il a fallu peu à peu admettre qu’il était inutile d’espérer rallumer le feu sous les alambics. En février 2016, les installations sont rasées.
En 2006, le premier Karuizawa est commercialisé en Europe : un single cask 1994, mis en bouteille pour la maison néerlandaise Full Proof. La maison Number One Drinks est également fondée cette année-là : elle fera connaître au monde les merveilles que recèle cette distillerie. À quoi s’ajoute le fait que, bien que l’année 2000 soit considérée comme l’ultime millésime de Karuizawa, la production a repris durant quelques semaines en 2006… Ichiro Akuto en personne étant venu à Karuizawa pour se familiariser avec les techniques de production de whisky. Celui-ci a racheté le distillat pour l’élever dans différents de types de fût - y compris dans une barrique en chêne japonais mizunara. Lorsque celle-ci sera embouteillée, il s’agira du premier - et dernier - Karuizawa mizunara.
Pour l’heure, l’édition limitée la plus rare est un Karuizawa single cask 1995 commercialisé en 2013 dans la gamme Ghost Series, élevé dans l’un des vingt Rouge Casks, ex-fûts de vin rouge japonais, qu’Osami Uchibori, le dernier maître distillateur de Karuizawa, avait acquis pour les remplir à titre expérimental. Cette édition (n° 5022) est l’expression non seulement la plus limitée, mais également la plus âgée (18 ans) - le dernier Karuizawa Rouge Cask embouteillé.
Il s’agit du plus vieux - à la fois en termes d’âge et de millésime - Karuizawa single cask jamais mis en bouteille. Il s’agit du célèbre 1960, lancé en édition limitée (41 flacons) par Number One Drinks en 2013 et qui a atteint le prix record de 110 000 euros dans une vente aux enchères à Hong Kong en 2015. Un autre single cask 1960 existe, mais plus jeune, car mis en bouteille par la distillerie en 2007. Selon la rumeur, il existerait encore un fût datant de 1964 non embouteillé. Nous assisterons peut-être alors un jour au lancement d’un single cask ayant dépassé de loin 52 ans.