Intertrade est une société fondée par Nadi Fiori. Propriétaire du restaurant Taverna dei Artisti à Rimini, il sillonne l’Ecosse pour acheter des bouteilles qu’on ne trouve pas en Italie pour ses clients. Vers 1976-1977, à la demande d’un ami qui travaille chez Co. Import, l’importateur de Glenfarclas et de Gordon & MacPhail en Italie à l’époque, il remet une lettre à George Urquhart avec lequel il sympathise immédiatement et dont il se met à importer certains embouteillages auxquels il prend soin d’ajouter quelques détails comme l’âge, indiqué sur une étiquette rajoutée sur le col des bouteilles, ce qui permet d’ailleurs d’identifier les bouteilles qu’il a importées.
Longmorn 21 ans 1965 Intertrade
(merci au Irish Pub Mulligans pour la photographie)
Ce goût du détail se retrouve sur ses propres embouteillages, Nadi Fiori étant lui-même collectionneur. Son activité d’embouteilleur indépendant commence au début des années 1980 avec un Glenlivet 21 ans sorti en 1981 puis avec l’achat au marchand et négociant d’Aberdeen Robert Watson de quatre fûts de différentes distilleries (Glenlivet, Glenfiddich, Glen Grant et Talisker) qu’il embouteille en 1983. A l’époque, ces bouteilles portent seulement la mention « For Nadi Fiori ».
En collaboration avec le propriétaire d’un distributeur de bière (Turatello), il fonde Intertrade. Son travail consiste à sélectionner, acheter et embouteiller des fûts, la distribution revenant à Turatello. Les étiquettes, simples et d’inspiration écossaise, sont l'œuvre d’un autre de ses amis. Elles représentent souvent la distillerie dont le whisky est issu ou des Ecossais en tenue traditionnelle, parfois un verre à la main. D’autres, plus sobres encore, se contentent d’un logo comme le drakkar de Scapa. L’amitié de Nadi Fiori avec George Urquhart lui donne accès à de nombreux fûts de Gordon & Macphail qu’il embouteille souvent au degré naturel contrairement aux habitudes de la maison.
Nadi Fiori devant une bouteille de Glenlivet 80 ans 1940
Gordon & MacPhail.
L’approche de Nadi Fiori reflète un rapport simple au whisky, peut-être plus discret, moins flamboyant que celui d’autres grands embouteilleurs italiens comme Samaroli, comme en atteste la belle simplicité des étiquettes ou l'existence de plusieurs bouteilles où le nom d’Intertrade n’est même pas mentionné bien qu’il en soit l’importateur. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : les whiskies embouteillés par Nadi Fiori sont parmi les plus beaux de l’époque, notamment pour qui aime les malts d’Islay comme Port Ellen, Caol Ila, Laphroaig, Ardbeg, Bowmore ou Bruichladdich.
C’est aussi le reflet d’un goût, une sélection personnelle qui assume une prédilection pour une qualité portée par quelques distilleries écossaises comme celles que nous avons citées plus haut. Nadi Fiori, c’est un peu la sprezzatura appliquée au whisky : une sélection fondée sur le goût des bonnes choses, sans fioriture et sans effort apparent. Une élégante décontraction qu’on retrouve dans les costumes colorés de cet homme toujours bien mis, dont la préférence pour les whiskies du passé nous semble bien naturelle quand on la chance de pouvoir goûter les siens.
Highland Park 30 ans 1955 Intertrade.
Highland Park 30 ans 1955 Intertrade
53,2%, 75cl, 1986 - 216 bouteilles
La signature miellée et cireuse d’Highland Park est ici doublée d’une tourbe fine et saline pour un ensemble délicieusement côtier. Avec un peu d’aération, la précision incisive du début laisse place à une certaine douceur qui n’est pas sans rappeler celle d’un cappuccino. En bouche, le whisky se fait plus fumé et épicé (poivre Phu-Quoc) sans en oublier d’être fruité avec une myriade d’agrumes (orange amère, mandarine…) et l’élégante amertume de la peau d’une pomme. Peut-être l’un des plus beaux Highland Park jamais embouteillés.
Caol Ila 21 ans 1968 Intertade
58,5%, 75cl, 1989 - 297 bouteilles
Si Caol Ila est une distillerie dont la qualité est toujours demeurée élevée, ceux distillés avant la reconstruction ont pour nous des charmes à nul autre pareil. Des charmes un peu particuliers puisqu’il s’agit d’une tourbe marine et médicinale, moins policée, moins moderne, plus racée que celle de la nouvelle distillerie. On note aussi des aspects fermiers (foin) et industriels (huile, métal) assez prononcés qui placent définitivement ce whisky dans la catégorie de ceux qui semblent absurdes quand on s’emploie à les décrire mais absolument délicieux quand on les déguste.
Clément Gaillard, Golden Promise Whisky Bar.
