Gordon & MacPhail

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Gordon MacPhail
La visionnaire

Depuis 1895, Gordon & MacPhail accompagne le succès des single malts, proposant notamment des embouteillages devenus collectors. Angus MacRaild revient sur l’histoire de cette vénérable maison du Speyside passée maître dans l’art du vieillissement.

Par Angus MacRaild

Gordon & MacPhail

Comprendre l’essor progressif des single malts jusqu’à l’actuel culte mondial qui leur est voué, c’est aussi comprendre l’histoire de Gordon & MacPhail. Épicier puis négociant en vins et spiritueux, cette maison fondée en 1895 embouteille dès l’origine des single malts sous licence de leurs distilleries respectives : Glen Grant, Macallan, Mortlach, Longmorn et Glenlivet sont mentionnées dans les archives de la firme. Hélas, aucun embouteillage de cette époque n’est à notre connaissance parvenu jusqu’à nous. Si d’aventure l’un d’entre eux réapparaissait, nul doute qu’un tel breuvage historique susciterait en maison de ventes des enchères à cinq chiffres.

Cette pratique de l’embouteillage, des blends comme des single malts officiels, était une forme de clairvoyance très en avance sur son temps. La pratique de l’embouteillage sous licence est poursuivie par l’entreprise depuis ses origines, de nouveaux noms venant s’ajouter au fur et à mesure aux précédents, Talisker, Strathisla, Balblair, Old Pulteney et Linkwood étant parmi les plus remarquables. L’un des plus anciens exemples connus d’embouteillage G & M sous licence est un flacon de Mortlach 12 ans datant des années 1950. Il a atteint chez Bonhams en 2013 le prix de 625 livres sterling. Gageons qu’il en vaudrait aujourd’hui au moins le double, au bas mot.

Au début du XXe siècle, les flacons titraient traditionnellement 80° proof (45,7 %) ; 70° proof (40 %) et 75° proof (43 %) étaient communs dans les années 1930, les 80° proof restant utilisés pour nombre de bouteilles plus onéreuses. Gordon & MacPhail fut à cet égard un pionnier des embouteillages à forte teneur en alcool, comme l’explique Ian Urquhart :
« En 1955, Gordon & MacPhail embouteillait régulièrement ses malts à 100° proof, et continue aujourd’hui encore à le faire. Dans les années 1950, une de ses mises titrait 105° proof et une autre 106° proof. » Le degré d’alcool élevé représentait une innovation probablement tout aussi importante que la mise en bouteille des nombreux malts eux-mêmes. Ian Urquhart poursuit : « La gamme Connoisseurs Choice a été lancée en 1968. À partir de cette date, ses étiquettes noires et rouges ont été utilisées pour un type spécifique d’embouteillages. À la fin des années 1970, une étiquette brune a été dessinée : en 1979, une gamme de 20 whiskies était commercialisée sous le label CC. En 1987, elle comptait 69 expressions différentes ». Cette gamme a représenté une évolution importante tant en ce qui concerne la mise en bouteilles des single malts que leur reconnaissance. C’est avec elle que, pour la première fois, G & M s’écartait du simple embouteillage sous licence pour pénétrer dans le territoire des véritables embouteillages “indépendants”.

Développer de nouveaux marchés

Avec Cadenhead’s et Berry Brothers, elle a été à l’avant-garde de cette pratique dans les années 1960 et 1970. Créée plus tardivement dans les années 1980, la gamme CASK a précédé toutes celles que nous connaissons aujourd’hui, unanimement loués par les amateurs. Une vénération qui trouve sa traduction dans les prix que ces grands flacons atteignent en maison de ventes. Autre caractéristique intéressante : durant de nombreuses années, les embouteillages G & M ont été le plus souvent commercialisés dans un flaconnage et sous un habillage relativement simples et bon marché, ce qui vient soutenir leur valeur et leur popularité actuelles sur le second marché. Ce qu’on achète, c’est seulement le liquide qu’elles contiennent.

Pour avoir le point de vue d’un distributeur et d’un collectionneur, nous sommes allés interroger sur le même sujet Sukhinder Singh, de la maison The Whisky Exchange : « Pour ceux qui ont eu la chance de le connaître, George Urquhart était une personnalité remarquable. Il aimait le whisky et savait rester proche de ses distributeurs. Il les aidait, mais il les écoutait aussi. Il est l’un des tout premiers embouteilleurs à proposer des whiskies cask strength, la demande venant principalement d’Italie, me semble-t-il, de gens comme Nadi Fiori qui mettaient en bouteilles sous la marque Intertrade. Que G & M ait eu la clairvoyance de mettre en bouteille des cask strength provenant de distilleries comme Mortlach, Glenlivet, Ardbeg ou Laphroaig, c’est une chose plutôt stupéfiante. L’embouteillage de whiskies millésimés est également une première. » Ian Urquhart précise : « La demande pour les single malts existait déjà dans les années 1920 en Europe et aux États-Unis. Elle s’est développée au cours des années 1950. Les Italiens consommaient habituellement la grappa, mais appréciaient aussi les single malts de 5 ans d’âge. George Urquhart a utilisé les relations amicales qu’il avait en Italie pour distribuer des single malts. D’abord des 5 ans, puis des malts plus âgés. D’autres marchés européens se sont eux aussi intéressés par la suite aux malts, et Gordon & MacPhail en a profité pour développer ces marchés et nouer des relations durables avec ses distributeurs. »

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L’expérience selon Sukhinder

Si l’on demande à Sukhinder quels sont ses embouteillages G & M préférés, il ouvre une petite caisse de bouteilles munies de capsules “securo”, un sceau permettant de dater précisément des années 1962/1963 ces flacons destinés aux États-Unis. Il s’y trouve un Macallan 25 ans et tous titrent 100° proof américains (soit 50 %). Ils font partie des plus anciens embouteillages G & M encore existants et constituent un témoignage remarquable de la clairvoyance de l’entreprise et de sa détermination très en avance sur son temps à embouteiller des single malts exceptionnels.

Mais il est vrai que les flacons G & M ne sont appréciés à leur juste valeur que depuis une dizaine d’années seulement, et qu’ils ont pendant longtemps affiché des prix relativement faibles compte tenu de l’âge et de la qualité de leur contenu. Comme le précise Sukhinder : « C’est une expérience extraordinaire que de pouvoir goûter à l’évolution de certains de ces grands whiskies. Nous avons récemment organisé une dégustation du nouveau Mortlach 75 ans qui a été distillé à la fin des années 1930, en compagnie d’un millésime analogue mais embouteillé dans les années 1970 et d’un 12 ans lui aussi embouteillé dans les années 1970. Ces trois whiskies sont tous exceptionnels, même le 75 ans. Ces vieux millésimes de G & M ont été excessivement sous-évalués pendant bien trop longtemps, probablement à cause de leur prix raisonnable. »

Gordon & MacPhail demeure aujourd’hui l’une des rares maisons à disposer d’un catalogue aussi considérable de stock âgé, grâce auquel, selon toute apparence, le risque de pénurie à l’avenir d’embouteillages légendaires est réduit au minimum. Et si l’on demande aujourd’hui aux collectionneurs quelles sont dans les réserves de G & M leurs bouteilles préférées ou les plus attractives à leurs yeux, on obtient nombre de réponses différentes. Les amateurs sont souvent intarissables sur les millésimes d’avant-guerre ou datant de la guerre, provenant de grandes distilleries comme Macallan, Glen Grant, Strathisla et Mortlach, qui ont été régulièrement mis en bouteilles dès années 1960 aux années 1990. D’autres, y compris votre serviteur, opteront pour les flacons tout à fait extraordinaires de Laphroaig et Port Ellen embouteillés à la force du fût dans les années 1980 pour des importateurs comme Intertrade ou Donini.

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