Glenfarclas, l’indépendance sinon rien

Stanislas Kindroz 05.09.2023

Signifiant “la vallée de l’herbe verte” en gaélique, Glenfarclas est l’une des plus célèbres distilleries de la vallée de la Spey. Elle est celle que nous aimons citer dès que sont énoncés les mots “famille” et “indépendance” au détour d’une conversation sur le Scotch Whisky. Cet “esprit de l’indépendance” s’est construit avec le temps, avec pour élément décisif la crise des Pattison de 1898. 

Les débuts, puis la tromperie

Le 8 juin 1865, John Grant (1805 - 1889) rachète aux exécutants de Robert Hay la ferme Rechlerich et la distillerie Glenfarclas. John loue la distillerie à l’un de ses cousins éloignés, John G. Smith, qui part en 1870 fonder Cragganmore. À la suite de ce départ, John Grant s'associe avec son fils, George (1830 - 1890), qui va d’abord s’occuper de la ferme avant de s’impliquer dans le management de la distillerie.

 

Sous le management de George Grant, la distillerie Glenfarclas se développe à une époque où l’industrie du whisky écossais est en pleine croissance. Cependant, contrairement à un grand nombre de ses consœurs, Glenfarclas est restée une distillerie très traditionnelle sans volonté d’expansion disproportionnée, produisant une quantité modeste de whisky qu’elle vendait aux consommateurs locaux et aux maisons d’assemblage. Néanmoins, avoir des ambitions somme toute mesurées ne signifie pas que la distillerie n’a pas cherché à se développer. 

 

George meurt en 1890, un an après son père John, léguant la licence de distillation à sa désormais veuve Elsie. Cette dernière donne le contrôle de la distillerie à deux de leurs fils : John (1873 - 1949) et George (1874-1949). Si feu George Grant est arrivé dans les affaires à une période de croissance, celle-ci est incomparable à celle que vont connaître ses deux fils, John et George, au début des années 1890. Rien que 37 nouvelles distilleries seront créées pendant cette décennie !

 

Les années 1890 commencent donc pour John et George de façon radieuse. En août 1896, ils vont s’associer - pour la seule et unique fois de l’histoire de la distillerie - avec les frères Pattison, assembleurs très réputés, afin de fonder l’entreprise Glenfarclas-Glenlivet Distillery Co. Les frères Grant et les frères Pattison auront chacun 50 % des parts de cette nouvelle entreprise.

 

Les frères Pattison - Robert et Walter de leur prénom - se lancent dans l’assemblage de whiskies en 1887. La croissance de leur entreprise est exponentielle, à tel point que les banques leur font entièrement confiance et que certaines distilleries leur vendent du whisky à crédit ! Cependant, leur business marque rapidement un coup d’arrêt. Leur désir de croissance toujours accrue va les pousser à proposer des assemblages de moins en moins qualitatifs, ce qui va avoir pour conséquence un effondrement progressif des ventes. Le 6 décembre 1898, le couperet tombe : les frères Pattison font banqueroute.

 

John et George, associés aux frères Pattison, vont prendre cette crise de plein fouet. Néanmoins, la Caledonian Bank - dont Glenfarclas est cliente de longue date - va se montrer compréhensive face à la situation de la distillerie. Au prix d’une hypothèque sur la ferme et les stocks de whisky, Glenfarclas se verra accorder la possibilité de remonter la pente. Le temps d’effectuer ce chemin, le 2 mai 1905, les 50 % de la société Glenfarclas-Glenlivet détenu jusqu’alors par le liquidateur des frères Pattison sont restitués à la famille Grant. Puis, 18 mois plus tard, l’hypothèque est définitivement levée. Mais cette crise va laisser de profondes cicatrices au sein du paysage du whisky écossais. Il faudra attendre 1949 pour qu’une nouvelle distillerie, Tullibardine, soit édifiée.

L’indépendance, et la pérennisation

Le début du XXème siècle est difficile pour toute l’industrie qui subit une augmentation de taxes continue à partir de 1909, la Première Guerre mondiale, la Prohibition aux États-Unis, la baisse progressive du nombre d’assembleurs dans les années 1930 puis la Seconde Guerre mondiale. Cette période voit le retrait de John Grant des affaires courantes de la distillerie en 1920 pour des raisons de santé. George prend donc seul le commandement de la distillerie. Ce dernier se marie l’année suivante avec Jessie Stuart Scott. Ensemble, ils auront deux enfants : George Scott Grant et John Peter Grant.

 

En revanche, deux décisions décisives dans l’histoire de Glenfarclas sont prises à cette période dans l’optique de renforcer l’indépendance de la famille Grant. En 1930, au lieu de renouveler la location des terres où la ferme Rechlerich et la distillerie sont situées, John Grant en achète le titre de propriété à Sir George Macpherson-grant, ainsi que celui de deux autres fermes avoisinantes. La famille Grant devient propriétaire.

 

Ensuite, John et George Grant fondent le 30 mai 1947 leur propre entreprise : J. & G. Grant Company. Sans la moindre participation extérieure, évidemment. Ainsi naît le fameux “Spirit of Independance”, devenu le slogan de la distillerie. À la suite de la banqueroute des frères Pattison, les frères Grant se sont jurés de ne faire confiance qu’en eux-mêmes pour la propriété et la gestion de leur activité. Depuis, Glenfarclas décline systématiquement tout rapprochement commercial et toute offre de rachat.

 

George S Grant prend les commandes de la distillerie en 1950. Ces premières années à la tête de la distillerie correspondent à des années de croissance. Durant la décennie 1950, de nombreuses distilleries sont sorties de leur sommeil et la production de whisky va considérablement augmenter afin de suivre la demande des assembleurs.

 

Puis, cette croissance va progressivement s’estomper. Lors de la fin des années 1960, la demande en whisky baisse et Glenfarclas perd un important contrat d’assemblage avec l’un de ses plus gros clients, Distillers Company Limited (DCL). George S Grant y voit une opportunité : il décide de réorienter la production de whisky en priorité pour l’embouteillage de single malts sous l’étiquette de la distillerie, prévoyant un intérêt croissant des consommateurs de whisky pour cette catégorie. Cette décision fait de George S Grant un véritable visionnaire. Désormais, Glenfarclas possède un immense stock d’environ 52 000 fûts, dont une partie non négligeable provient des années 1960.

 

George S Grant sera le chairman de la distillerie Glenfarclas pendant 52 ans, jusqu’en 2002, l’année de son décès. Malgré les diverses turbulences que la distillerie traverse durant son commandement (l’inflation à la suite du choc pétrolier de 1973, le “whisky loch” de 1983, la guerre du Golfe et une baisse de la demande des assembleurs au début des années 1990), il est resté fidèle à sa philosophie : mettre en avant le single malt Glenfarclas avant tout. George S Grant établit même une joint venture avec l’entreprise Peter J Russel & Co dans le cadre de l’achat et de la gestion de la société Broxburn Bottlers Limited, afin de gérer entièrement la chaîne d’embouteillage des whiskies Glenfarclas. 

 

Témoignages d’une vision

Considéré par les amateurs de scotch comme étant l’un des single malts les plus fin d’Écosse, Glenfarclas est un whisky intimement lié au temps qui passe, à un esprit - celui de l’indépendance - et à la célébration de celui-ci. La collection des Family Casks en est le symbole. Cependant, il serait réducteur de réduire les embouteillages iconiques de Glenfarclas à travers cette seule collection.

 

Glenfarclas commence à s’exporter en tant que single malt pendant les années 1960, d’abord en Suisse, aux États-Unis et en Allemagne de l’Ouest. Puis, lorsque John LS Grant, l’actuel chairman, commence à travailler à la distillerie en 1974, sa première mission est de rechercher de nouveaux distributeurs et de conquérir de nouveaux marchés.

 

Glenfarclas 25 years old 1979 Pinerolo Import 43 %

Impossible d’évoquer Glenfarclas sans évoquer le grand âge de ses eaux-de-vie de malt. Le premier embouteillage que nous vous invitons à découvrir est un magnifique 25 ans d’âge, embouteillé en 1979 et importé par Pinerolo, en Italie. Ce single malt est un témoin de la période de croissance entamée sous le commandement de George S Grant en 1950.

Robe : ambre profond.

 

Nez : à la fois riche et frais. L’évocation du Xérès n’est évidemment jamais très loin. Des parfums cireux et épicés (clou de girofle) précèdent l’apparition de jolies notes de raisin et d’une splendide minéralité. Une séquence métallique souligne la magnifique patine engendrée par l’OBE. 

 

Bouche : elle a beaucoup de corps, et surtout beaucoup de complexité. Avec fraîcheur (thym, origan), piquant (poivre, muscade, moutarde) et beaucoup de gourmandise (confiture de mûres et de framboise, noisettes), elle visite l’univers de Glenfarclas avec une justesse inouïe. La fin de bouche, légèrement fumée et torréfiée, est digne des plus grands sherry casks.

 

Finale : à son tour, elle révèle de nouvelles facettes. L’entame de finale, par ses notes de thé noir prolongent le côté fumé de la fin de bouche tout en y apportant une amertume inédite. Celle-ci mue vers du chocolat noir, puis des notes de tabac apportent une belle sècheresse. Des notes de curry apparaissent en arrière-bouche. Immense, tout simplement.

 

Glenfarclas 1960 The Family Casks 52,4 % 

John LS Grant lance en 2007 la première mouture des Glenfarclas Family Casks, avec l’embouteillage d’un fût par millésime, de 1952 à 1994. Un véritable héritage mis en bouteille. Véritable consécration de son indépendance et de sa croissance,les embouteillages de cette première série sont désormais très recherchés par les collectionneurs du monde entier.

 

Derrière ces embouteillages, Glenfarclas montre deux choses : premièrement, qu’elle est l’une des rares distilleries à avoir un stock conséquent de (très) vieilles eaux-de-vie, et deuxièmement sa maîtrise dans l’élevage en fût de sherry, du premier remplissage au quatrième remplissage, en passant par des hogsheads sans jamais trahir son style (il y a eu quelques élevages en Port Pipe mais qui demeurent très marginaux).

 

Millésimés, ces Glenfarclas Family Casks sont l’occasion d’immortaliser un heureux évènement, un anniversaire, une date importante. Nous clôturons cet article avec l’un des plus grands d’entre eux : un sherry hogshead de 46 ans embouteillé pour la première série de la collection.

Robe : acajou.

 

Nez : d’une concentration digne d’un grand rhum. Le premier nez est composé d’un ensemble de notes d’orange, de mangue et de noix de coco qui est rapidement rejoint par de très beaux parfums herbacés. Il est d’une fraîcheur et d’une explosivité inouïe pour son âge. Le deuxième nez révèle un boisé à la fois noble et délicat.

 

Bouche : elle nous ramène dans l’univers des whiskies. Chaleureuse, elle se montre d’abord épicée (poivre), puis animale (viande séchée, rôti de porc) avant que la fraîcheur ne revienne sur le milieu de bouche à travers des plantes aromatiques et des notes de mangue. Une très légère trace de fumée de cigare enveloppe la fin de bouche. L’aération dévoile un très bel aspect salin.


Finale : riche, l’entame de finale est à la fois fumée, exotique et florale. Quelques épices orientales apportent à la fois vigueur et sérénité. Dans son prolongement, la finale devient gourmande (gâteau au chocolat, cannelés). Enfin, le registre chocolaté prend définitivement le dessus, sur un chocolat noir très amer. En même temps très iconoclaste et très Glenfarclas.

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