Caroni, le goût unique d’une distillerie disparue

 

                                                                                                             La distillerie Caroni

Si une publicité du Trinidad Guardian atteste de l’existence de la distillerie Caroni en 1899, elle est officiellement établie en 1918 à Trinité-et-Tobago, dans la plaine Caroni, au sud-est de Port-d’Espagne. Trinité-et-Tobago est alors sous domination britannique depuis le traité d’Amiens en 1802. Contrairement aux autres distilleries de l’île, une dizaine à l’époque, elle est adossée à sa propre sucrerie et ne dépend donc pas des importations de mélasse du Guyana pour produire son rhum. En 1936, Caroni intègre la société britannique Tate & Lyle, un géant de l’industrie sucrière né de la fusion de deux entreprises concurrentes en 1929 : Henry Tate & Sons et Abram Lyle & Sons.

Au fil des années, la nouvelle société, Caroni (1937) Limited, fait l’acquisition d’autres plantations de Trinité-et-Tobago : Esperanza Estate et Bronte Estate en 1955, Sainte Madeleine Estate en 1957, Woodford Lodge Estate en 1961 et Orange Grove Estate en 1968. Elle en récupère parfois le matériel de distillation comme un alambic à colonne provenant d’Esperanza Esate en 1957, venu s’ajouter à une colonne en fonte présente depuis l’ouverture et à un Coffey still installé en 1936, tous deux démantelés dans les années 1980. Caroni occupe alors une position dominante dans l’industrie sucrière de Trinité-et-Tobago et des moyens conséquents sont engagés pour moderniser la production comme l’usage industriel de la bagasse, la mécanisation des récoltes ou le développement de nouvelles variétés de canne.

Les embouteillages de l’époque ne sont pas légion, même si on peut citer le Caroni Navy Rum Extra Strong dont Velier s’est inspiré pour ses propres étiquettes, avant d’en proposer une réédition en 2018, à l’occasion du centenaire de la distillerie. Le heavy rum riche en esters de la distillerie est aussi un ingrédient indispensable de la ration de rhum distribuée aux marins de la Royal Navy, le tot, auquel il apporte du caractère.

 

Le déclin

Caroni devient une affaire de moins en moins rentable pour Tate & Lyle, suite à l’accession de la Grande-Bretagne à la Communauté économique européenne en 1973 et à la Convention de Lomé en 1976 régulant les importations et plafonnant les prix de certains produits agricoles, dont le sucre, en provenance des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique parmi lesquels on compte de nombreuses anciennes colonies britanniques, françaises, belges et néerlandaises. Le groupe réagit à ces mesures protectionnistes visant à protéger les producteurs européens en diversifiant ses activités et en rachetant son principal concurrent en Grande-Bretagne, Manbré & Garton, en 1976. En 1970, Tate & Lyle a déjà vendu 51 % des parts de Caroni à l'État de Trinité-et-Tobago, devenu indépendant en 1962, et les parts restantes suivent en 1975. La société prend alors le nom de Caroni (1975) Limited et la partie consacrée à la production de rhum celui de Rum Distillers (of Trinidad & Tobago) Ltd.

Un bien mauvais départ pour cette nouvelle société puisque l’activité sucrière n’est plus rentable et les exportations limitées. Parallèlement, l’admiral of the fleet Peter Hill-Norton a mis fin à la tradition centenaire de la ration de rhum dans la Royal Navy en 1970, craignant qu’elle conduise à une mauvaise manipulation des machines sur les navires et plus généralement à une moindre efficacité des marins dans l’accomplissement de leur devoir. La dernière ration est servie le 31 juillet 1970, un jour connu comme le Black Tot Day.

Fidèle à la politique du pays, Caroni se recentre donc sur son marché intérieur et tente de se diversifier. La société n’en demeure pas moins déficitaire, des pertes que l’État doit compenser. La tentative de réduire les coûts en externalisant l’approvisionnement en sucre de la distillerie est un échec. En 2001, la branche rhum de la société est vendue à Angostura mais un désaccord sur la valeur des stocks - environ 18 000 fûts - fait capoter la vente. La sucrerie ferme en 2002 et la distillerie connaît le même sort en 2003. Liée toute son histoire à l’industrie sucrière de Trinité-et-Tobago, Caroni ne pouvait continuer à exister sans elle alors que l’économie du pays repose aujourd’hui largement sur le tourisme et surtout sur ses ressources pétrolières et gazières au détriment des secteurs agricoles et sucriers.

                                                                                                          L’intérieur de la distillerie, vide

La deuxième vie de Caroni

Angostura fait finalement l’acquisition de la majorité du stock, le reste allant en partie à la maison de négoce italienne Velier. Son patron, Luca Gargano, découvre Caroni en décembre 2004, au cours d’un voyage à Trinité-et-Tobago en compagnie du photographe Fredi Marcarini. Il achète une partie du stock (environ 1 600 fûts) de la distillerie et sort huit embouteillages de Caroni en 2005, suivis par de nombreux autres. Luca Gargano conserve ses fûts dans un climat tropical, à Trinidad puis en partie au Guyana, dans les chais de Demerara Distillers Limited à partir de 2008. Il les embouteille à leur degré naturel ou avec de légères réductions.

                                                                                                 Rudy Moore, le liquidateur de Caroni

D’autres négociants ou courtiers ont pu obtenir des fûts lors de la vente aux enchères conduite par Rudy Moore, le liquidateur de la distillerie, en 2005 mais ils n’ont généralement pas le même profil que ceux de Velier ou de Bristol, qui avait aussi acheté des fûts en amont, du fait d’une maturation tropicale bien plus courte. Là où Velier et Bristol ont surtout acheté des Heavy Rums, des rhums dit lourds, très aromatiques, c’était des Lights Rums, destinés aux assemblages avec un style bien moins flamboyant, qui étaient proposés pendant la vente.

Si les rhums de Caroni n’ont retenu l’attention que d’une poignée d’amateurs à leur sortie, l’intérêt pour cette distillerie est allé croissant au fil des années. On peut expliquer cette tendance par l’un engouement plus général pour le rhum mais aussi à la reconnaissance du style très particulier de cette production, marquée par une texture huileuse et des notes pétrolifères. Aujourd’hui, des bouteilles vendues quelques dizaines d’euros à leur sortie sont adjugées pour plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’euros sur les sites de vente aux enchères.

 

 

Caroni 20 ans 1967 Moon Import “The Birds”

46%, 75cl - 900 bouteilles

Embouteillé par Moon Import, un grand importateur et négociant italien, ce Caroni tranche avec les éditions modernes que nous connaissons. Les notes pétrolifères sont en retrait, presque absentes, et le rhum fait preuve de beaucoup de douceur avec des notes de caramel au beurre salé, de miel et de fruits secs. Peut-être s’agit-il d’un light rum comme Caroni en produisait aussi pour les assemblages. Un bel exemple d’un aspect moins connu de Caroni et, l’air de rien, le plus ancien millésime commercialisé de la distillerie.

 

Caroni 21 ans 1998 Employees Kevon "Slippery" Moreno Full Proof Heavy Rum

69,5%, 70cl, 2019 - 1 400 bouteilles

Le vieillissement tropical fait effet : ce Caroni, un heavy rum cette fois, fait preuve d’un caractère bien trempé porté par un taux d’alcool impressionnant. On retrouve les notes pétrolifères qui font la signature de Caroni mais aussi des notes d’agrumes, de fruits exotiques et de caramel qui apportent à ce rhum beaucoup d’équilibre et de complexité. Il est dédié à Kevin Moreno, dit « Slippery », employé de la distillerie pendant dix ans. La série Employees, lancée en 2018, met ainsi à l’honneur d’anciens employés de Caroni que Luca Gargano a retrouvé avec l’aide de Rudy Moore et fait photographier par Fredi Marcarini.

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