Oeil du golden promise 24.1

 

 

STANISLAS KINDROZ 

BRORA 30 years Of. One of 2 652 - bottled 2009 Limited Bottling :

 

 

 

Neuf éditions de Brora 30 ans ont été commercialisées dans la gamme Diageo Special Releases. Nous dégustons aujourd’hui la huitième. Dès les premières secondes, une tourbe marine portée par des notes d’algues s’extirpe du verre. C’est fin. Les senteurs de coquilles d’huître qui suivent renforcent le profil côtier et minéral (appuyé par des notes de craie) de ce Brora. Le temps permet de faire de la place à de jolis parfums fruités, mêlant mangue, et pomme verte, puis laisse apparaître un caractère médicinal inédit. En bouche, l’harmonie est reine. L’attaque est marquée par des notes d’huile d’olive, et le milieu de bouche est long aller-retour entre des séquences fruitées (mangue, orange) et marines (iode, fruits de mer). La fin de bouche révèle des notes infusées de thym et de citron qui apportent beaucoup de chaleur à la palette gustative. Cette séquence a quelque chose de médicinal et accentue la filiation de la bouche avec le nez. Une grande minéralité lance la finale très salivante de ce Brora. Une légère fumée jusque-là absente fait son apparition, puis nous retrouvons la mangue, toujours présente et enfin de l’orge maltée. Le verre vide, empreint de cire et de fumée, clôt la dégustation d’une jolie façon. Cet équilibre entre la salinité et le fruit est absolument renversant. 

 

KARUIZAWA 1981 Number One Drinks Vintage Single Cask n°152 - bottled 2014 Ex-Sherry Cask :

 

 

 

J’aime particulièrement la sobriété des étiquettes de la gamme Single Cask Collection. Ce whisky a été embouteillé pour La Maison du Whisky. Il est d’une robe orangée véritablement solaire. Les parfums herbacés, fruités (noix de coco), de feuille abrasive et de vernis brouillent les pistes : nous avons l’impression d’humer un vieux rhum plutôt qu’un vieux whisky. Cette impression se poursuit, par des notes d'écorce d’ananas et se mêle au fil du temps au caractère animal et carné de Karuizawa, qui émerge. Des notes de sherry viennent rééquilibrer la dégustation. La manière dont le nez oscille désormais entre l’univers des rhums et des whiskies est à la fois troublante et bluffante. La bouche suivra-t-elle ce chemin ? Absolument, mais dans le sens contraire. L’attaque nous ramène plutôt aux whiskies élevés en anciens fûts de Xérès, avec de multiples épices (poivre, muscade, girofle), de la sauce soja et du chocolat fondu. Mais les notes de mangue mûre, de fraise, de framboise et de sirop de menthe qui s’enchaînent pendant le milieu de bouche s’éloignent de tout cela en apportant beaucoup de gourmandise. Gourmandise qui est le maître mot de l’entame de finale, marquée de praliné. La finale est très douce, avec une pointe de fumée. Ensuite, le caractère animal de Karuizawa cohabite avec de jolies notes de vanille. Pour notre plus grand plaisir, ce whisky ne prendra jamais parti. C’est Karuizawa à son Zénith.

 

SALVATORE MANNINO

 

ICHIRO’S CARD JOKER COLOUR, 57,7%, 3 690 Bouteilles

 

 

 

Cet embouteillage est l’un des deux derniers qui viennent conclure la fameuse série des 54 cartes (si l’on exclu les 4 premiers embouteillages initiaux) d’Ichiro’s Cards, sorte de testament liquide de la distillerie Hanyu, qui a fermé ses portes en 2000.

Le Joker « Colour » est le seul embouteillage qui concerne un assemblage de plusieurs fûts (tous les autres étant des « single casks »), soit 14 au total, avec des whiskies distillés en 1985, 1986, 1990, 1991 et 2000.

Un nez fin, concentré. Il évoque un bouillon de viande de bœuf. Epicé (ras el-hanout), voilà un whisky qui met en appétit. Malgré sa concentration, la complexité de ce whisky est incroyable et l’on comprend qu’il va falloir du temps pour qu’il nous livre tous ses secrets. De manière subtile, de la suie et de la poudre de tourbe séchée viennent se déposer sur cette palette olfactive. Le voyage exotique continue avec, cette fois, du chocolat au curry doux. Au fur et à mesure de l’aération, on s’oriente vers un registre plus doux : huile essentielle d’orange, bonbon au lait, caramel au citron. 

Quel changement de personnalité, mais avec Hanyu, nous y sommes habitués ! Nous voici maintenant sur de la crème chiboust, de la fève de cacao : après nous avoir servi le plat de résistance, on passe au dessert et pourtant… des notes de romarin font soudainement surface, je vous l’ai dit, ce whisky mettra du temps à nous livrer ses richesses. La bouche est grasse, huileuse et intense. De la poudre à canon et des épices (clou de girofle), un entrelac de saveurs tout en puissance : une viande cuite au four déversant son jus généreux, de la caroube, du chocolat et un bel acidulé pour finir. Voici un mariage surprenant mais cohérent, que seul Hanyu et quelques autres whiskies peuvent accomplir. La finale est sans fin, justement, chocolatée et épicée avec des notes d’orange confite.  

L’une des plus belles cartes que j’ai pu goûter. Je me rappelle que lors de la dégustation de lancement à Paris, la plupart des dégustateurs étaient passés à côté de cet embouteillage, faute de ne pas lui avoir consacré assez de temps. Hanyu Joker fait partie de ces whiskies contemplatifs qui se dévoilent petit à petit, sa conversation pouvant durer des heures ! La confiance qu’il accorde ne se mérite pas facilement, mais pour les plus patients, quelle récompense ! Cet assemblage n’a rien à envier aux single casks et rend hommage aux talents d’Ichiro Akuto, son chef d’orchestre. 

Voilà une carte qui est le meilleur des atouts, assurant à son détenteur un jeu gagnant.



STANISLAS KINDROZ 

KARUIZAWA 1984 Number One Drinks Vintage Single Cask n°8173 - bottled 2014 Ex-Bourbon Cask :

 

 

 

Ancien fût de bourbon, réellement ? C’est plus compliqué que cela. Il est arrivé à Karuizawa que des whiskies en train de vieillir dans des anciens fûts de Xérès soient transvasés dans des anciens fûts de bourbon parce que la distillerie avait besoin de fûts de Xérès. Cela explique la robe très foncée de certains ex-Bourbon cask. Le nez est extrêmement concentré et demande de l’aération. Parmi les premières notes aromatiques, nous trouvons du charbon de bois, de la réglisse et du zeste d’orange. Cette complexité aromatique se prolonge dans le temps : des notes de viande de bœuf cuite, de noix de coco, de mine de crayon à papier et mangue se succèdent. Le nez nous indique que ce Karuizawa est impossible à mettre dans une case, et la bouche en fera tout autant. Grasse et riche, la bouche dévoile dans un premier temps des notes de café noir, de noisettes et de cannelle. Dans un deuxième temps, la palette gustative s’ouvre sur des saveurs épicées (poivre), fleuries (violette) et chaleureuses (bouillon de légume). La fin de bouche, sur le chocolat fondu et la réglisse, appuie la dimension concentrée de la dégustation. L’entame de finale est animale. Elle évoque le cuir. La gourmandise prend la suite, avec des notes de gavottes et de caramel au beurre salé. Cette dernière note fait saliver le palais. Puis, la finale redevient animale jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Cette version a le caractère insaisissable des grands Karuizawa. À la dégustation, il faut veiller à lui accorder beaucoup d’aération. Celle-ci lui confère beaucoup de noblesse. Sinon, vous risquez de passer complètement à côté de ce whisky.

 

UITVLUGT 17 ans 1997 Velier Barrels ULR - One of 1 404 - bottled in 2014 : 

 

 

 

ULR pour Uitvlugt Light Rum. C’est ce qui était inscrit sur les fûts qui sont entrés dans l’assemblage de cette version, embouteillée pour le négociant italien Velier en 2014. Celle-ci est-elle si light que cela ? À peine versé dans le verre, cet Uitvlugt exhale des notes d’huile de moteur. Mais, le réduire à sa dimension organique serait une erreur. Le nez est également fruité (noix de coco), gourmand (sucre glace, sirop d’érable), empyreumatique (pain trop grillé) et boisé. Notons que l’alcool est très bien intégré. Le temps d’une seconde, le caractère organique perçu au nez apparaît également lors de la mise en bouche. Mais, cette flaque d’huile de moteur disparaît aussi vite qu’elle est arrivée pour laisser la place à un océan de gourmandises : café, mousse de lait et noix de coco forment une magnifique première séquence gustative. Par la suite, des notes de lavande et de sirop de sucre de canne apparaissent. La bouche est marquée par une très jolie tension. La finale est très belle, marquée par des notes de vanille et de vernis qui retranscrivent très bien la dualité de la dégustation. Alors, light ?