Neisson

CAMILLE VILLENEUVE 07.02.2024

 

 

En une quinzaine d’années,  Neisson est passé de distillerie  martiniquaise confidentielle au statut de marque réputée d’excellence dans le monde du rhum. Principal acteur de l’appellation Rhum agricole de Martinique, la distillerie a également amorcé en 2013 sa transition vers l’agriculture biologique.  Les embouteillages rares qu’elle sort au compte-goutte suscitent l’intérêt grandissant des amateurs et des collectionneurs de rhums. Ses volumes de production restent toutefois très modestes, infimes même, à l’échelle du marché mondial du rhum : la petite distillerie du Carbet  demeure fidèle à ses origines et ses savoir-faire, et rien ne semble pouvoir la faire dévier de sa trajectoire faite de simplicité et d’authenticité.

Une histoire de famille

L’histoire de la distillerie débute en 1931 lorsqu’Adrien Neisson, commerçant de Saint-Pierre, décide d’acheter 20 hectares de la propriété Thieubert au Carbet. Il plante les premières cannes à sucre afin de produire du rhum agricole issu de la distillation de pur jus de canne. La construction de la distillerie démarre en 1932, avec l’installation d’une chaudière datant de 1886 et de moulins à cannes venus de France.  Jean Neisson, petit frère d’Adrien, part ensuite en métropole poursuivre ses études d’ingénieur chimiste au sein de l’École Supérieure de Chimie de Paris dont il sera diplômé en juillet 1939. Jean Neisson sera retenu en métropole à cause de la guerre mais reviendra finalement en Martinique en 1944. Au fur et à mesure des campagnes rhumières, le rhum Neisson acquiert une réputation de produit de qualité, en particulier grâce à des savoir-faire d’avant-garde  : la distillerie ne pratique pas le brûlage des cannes sur pied  et réduit l’usage des produits chimiques au minimum. Jean Neisson passe également à une fermentation lente avec des levures issues de ses propres cannes à sucre afin de garder le lien avec son terroir. En 1952, la colonne en cuivre Savalle, avec laquelle la distillerie produit toujours son rhum, est installée. Jean Neisson y réalise quelques aménagements, notamment au niveau des plateaux. C’est aussi à cette époque qu’il dessine la fameuse bouteille « Z’épol Karé » (aux épaules carrées) dont la silhouette est encore l’icône  de la marque. Après la disparition de Jean en 1986, la famille demande à Emmanuel Fedronic, distillateur ayant déjà travaillé chez Neisson dans les années 1960, de reprendre la production. Ce dernier travaille à la distillerie jusqu’à ses 86 ans, en 2006. Entre-temps, la fille de Jean Neisson, Claudine Vernant-Neisson, a repris le flambeau en 1995, rapidement suivie par son fils Grégory. La distillerie Neisson est ainsi l’une des deux dernières distilleries familiales et indépendantes de la Martinique. 

 

 

 

 

 

Le respect du terroir et l’agriculture biologique

Chez Neisson, l’agriculture biologique a été considérée comme le meilleur chemin vers la mise en valeur du terroir. La conversion des terres vers l’agriculture biologique a impliqué la suppression des désherbants chimiques, remplacés par des outils de désherbage mécanique et le renforcement des travaux manuels de sarclage. Des plantes de service sont sélectionnées afin de couvrir l’espace entre deux rangées de canne à sucre et par conséquent prendre la place des mauvaises herbes. Cette technique était par ailleurs déjà utilisée par Jean Neisson à une époque où peu de monde s’y intéressait encore. Les racines de ces plantes permettent de limiter l’érosion des sols, de favoriser l’infiltration de l’eau, d’enrichir le sol en azote… Les champs de canne sont également entourés de vétiver, une plante verte touffue dont les racines peuvent plonger jusqu’à trois mètres de profondeur. Utilisée par des agriculteurs de nombreux pays comme l’Inde ou le Nigéria, elle permet d’empêcher l’érosion des sols, la prolifération des mauvaises herbes mais aussi, par exemple, de conserver l’humidité des sols. Les déchets organiques de la production de rhum tels que la bagasse (les restes de la canne broyés), les vinasses (résidus aqueux issus de la distillation) et les cendres de bagasse, sont également utilisés pour faire du compost. À titre d’exemple, la canne à sucre a besoin d’une grande quantité de potassium que l’on peut trouver en forte teneur dans les vinasses.

 

Prendre le temps

Neisson cultive 42 hectares de cannes à sucre entre le Carbet et Saint Pierre. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec les 4 150 hectares cultivés en Martinique, dont 60 % servent à la production de rhum agricole. Ainsi, Neisson produit environ 2 % du rhum martiniquais, une donnée qui permet d’évaluer sa taille par rapport à l’industrie du rhum. En termes de volume, cela représente un peu moins de 400 000 bouteilles dans l’année dont les deux tiers sont les rhums blancs à 50 % et 55 % alc. Les cuvées spéciales et/ou millésimées représentent moins de 1 % de la production annuelle de Neisson. D’où la très grande rareté de ces embouteillages qui occupent une place à part dans l’offre  de la distillerie. Plutôt que de s’agrandir ou d’augmenter la production, Neisson préfère continuer dans cette voie  : améliorer la canne afin qu’elle soit plus sucrée, continuer la conversion vers l’agriculture biologique, travailler sur les fûts afin d’effectuer le vieillissement en fût de rhum au maximum. Comme le disait très justement Grégory Vernant Neisson dans une interview donnée à Whisky Magazine en 2020 : « Progresser, c’est se rapprocher de son terroir. »

 


Dégustation :

Neisson 1995-2014 Single cask Velier et LMDW 48% :

Couleur : Ambre

Nez : Le premier nez s’ouvre sur des abricots confits, du chocolat au lait et une délicate touche de café. Une grande fraîcheur marquée de notes de menthe qui évolue ensuite vers des notes médicinales (baume du tigre et eucalyptus). Enfin, les fruits exotiques reviennent avec de la goyave et de la mangue séchées.

Bouche : L’attaque en bouche,vive et acidulée, évoque le citron vert. Puis, des notes de fruits à coque grillés prennent le pas avec des noix, des noisettes et des noix de cajou. Un profil rustique s’affirme à travers des notes fermière de paille et de foin. Enfin, des épices et un léger boisé ferment le bal avec du gingembre, du curcuma et du safran. 

Finale :Longue et fraîche, elle s’achève sur les agrumes (citron, pamplemousse) et la canne à sucre, puis de très jolies notes de terre humide et de tabac blond.

 

Un rhum vieux typique de chez Neisson, illustrant un vieillissement particulièrement maîtrisé. En effet, il se révèle d’une fraîcheur remarquable après avoir passé 19 ans en fût sous la chaleur et l’humidité martiniquaise.