Mars - Entre tradition et modernité

STANISLAS KINDROZ 08.11.2023

 

Derrière l’histoire de la marque Mars Whisky se raconte celle du groupe Hombo Shuzo, qui s’est lancé trente ans après sa création dans la distillation de spiritueux. Les whiskies Mars sont produits par deux distilleries, Shinshu et Tsunuki, dont la capacité totale de production  reste modeste, 60 fois inférieure à celle des grandes distilleries japonaises. Mars incarne une certaine vision de l’artisanat et le destin tumultueux d’un groupe qui a su explorer et expérimenter sans jamais se renier.

 

Hombo Shuzo : les prémices

Pour comprendre l'histoire de Mars, il faut d’abord explorer celle d’Hombo Shuzo, une société fondée par Matsuzaemon Hombo en 1872, à Kagoshima. À l’origine, cette entreprise œuvrait dans la production de colza et la fabrication de coton. En 1902, la famille Hombo commence à explorer l’art de la distillation par la production de shochu, toujours à Kagoshima.

Puis, dans la lignée de l’histoire naissante du whisky japonais, le groupe Hombo Shuzo obtient une licence de distillation de whisky en 1949. À partir de 1950, le groupe va commencer à produire du whisky destiné aux assemblages : c’est le début de l’épopée de Mars. La production de whisky est encadrée par Kiichiro Iwai, qui a été le premier employeur de Masataka Taketsuru, l’un des pères fondateurs du whisky japonais, dont il a pu étudier les précieuses notes que ce dernier a rapportées de son voyage en Écosse entre 1918 et 1920, où il a appris les rudiments de la distillation.

 

Yamanashi : les tâtonnements

Nous retrouvons Kiichiro Iwai à la tête de la nouvelle distillerie construite en 1960 à Isawa (Préfecture de Yamanashi), à une centaine de kilomètres de la future distillerie Shinshu. Dans une démarche proche de ce qui s’était fait jusqu’à présent au Japon, le whisky produit à Yamanashi est empreint d’influences écossaises, avec des notes fumées. Il est alors trop puissant pour le palais des Japonais et ne rencontre pas le succès escompté. Au début des années 1970, la production de whisky est délocalisée à Kagoshima, sur l’île de Kyushu – qui est soumise à un climat plus tropical – dans l’optique de produire un whisky plus léger, en accord avec le goût des amateurs locaux.

Malgré tous ces changements et tous ses efforts, le groupe Hombo Shuzo n’arrive pas à conférer la finesse recherché à son whisky. Il décide alors de revenir au nord du Japon et construit en 1985 une nouvelle distillerie, Shinshu (préfecture de Nagano).

 

Shinshu : la persévérance

Shinshu est située au cœur des Alpes japonaises, au pied du mont Komagatake qui donnera son nom au single malt produit par la distillerie. Avec Shinshu, le groupe Hombo Shuzo parvient à élaborer un whisky plus fin, qui trouve son public. Néanmoins, sept années seulement après l’ouverture de la distillerie, le groupe prend de plein fouet la crise économique qui frappe le Japon et qui provoque une forte chute de la consommation de whisky. La décision est prise en 1992 d’arrêter la production de whisky mais de continuer à produire d’autres spiritueux. Les quelques embouteillages de whiskies produits lors de cette période sont désormais prisés par les collectionneurs. On peut citer le triptyque de Komagatake 1986, un 30 ans American Oak White Barrel et deux 30 ans Sherry Cask, embouteillés en juin 2016 et adjugés aux enchères entre £1 000 et £2 500. Certains Private Casks de la fin des années 1980 franchissent même les £3 000.

Puis, avec le nouveau millénaire, le whisky japonais devient un phénomène mondial. Face à ce succès, le groupe Hombo Shuzo fait le pari en 2011 de relancer la production de whisky à Shinshu. Pari plus que réussi. Située à Miyada-mura, la distillerie bénéficie de conditions optimales pour une maturation lente, avec une température moyenne annuelle autour des 8 °C  (des températures pouvant atteindre -15 °C l’hiver et 33 °C l’été) et une part des anges oscillant entre 3 et 4 %. Elle est équipée d’un wash still de 8 000 litres et d’un spirit still de 6 000 litres, tous deux chauffés à la vapeur. Son single malt,  abondamment fruité, rencontre un véritable succès d’estime. Shinshu produit également des versions tourbées.

 

Tsunuki : la continuité

La renaissance des whiskies Mars franchit une nouvelle étape en 2016. Une seconde distillerie baptisée Tsunuki est construite dans la préfecture de Kagoshima, tel un retour aux origines de la société Hombo Shuzo. Elle est située entre le mont Choya (513 m) à l’ouest et le mont Kurata (475 m) à l’est, d’où jaillit l’eau de source utilisée pour la dilution des whiskies. Les hivers sont plus doux qu’à Shinshu (température minimale de -2 °C) mais les étés sont un peu plus chauds (température maximale de 36 °C). La part des anges est également plus élevée (entre 5 et 7 %). La distillerie produit aussi bien des whiskies non tourbés que des whiskies tourbés, voire très tourbés (jusqu'à 50 ppm). 

La différence entre les whiskies de Shinshu et de Tsunuki, qui se traduit par  leurs caractères distincts, tient en partie à leurs équipements variés. Le single malt élaboré par Tsunuki est produit avec un wash still et un spirit still plus petits (respectivement 5 800 et 2 700 litres) que ceux de Shinshu. Le wash still est en forme d'oignon, tandis que le spirit still a une tête droite. Les cols de cygne de ces derniers sont plus petits de dix degrés que ceux de Shinshu et sont équipés de condenseurs à serpentins. Il en ressort un distillat plus lourd que celui de Shinshu. 

Qu'il s'agisse de ses whiskies élaborés à Shinshu ou à Tsunuki, Mars propose de magnifiques single casks et bruts de fût, jouant sur ses différents sites de vieillissement, valorisés par un graphisme toujours moderne et sophistiqué.   Le fût T431 de la Ghost Series fait partie des embouteillages très recherchés par les collectionneurs, s’adjugeant aux enchères entre £1 500 et £2 100. D’autres, embouteillés pour le Whisky Talk 2022 de Fukuoka ou pour le Tokyo Whisky Festival s’adjugent entre £321 et £755.

 

Yakushima : l’exploration

En plus des chais de Shinshu et de Tsunuki, le groupe Hombo Shuzo détient deux autres chais de vieillissement sur l’île de Yakushima, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1993.  Un site qui offre au groupe la possibilité d’explorer les enjeux de la maturation et de mieux comprendre l’impact du climat sur celle-ci.

Le climat sur l’île de Yakushima est encore différent de celui des Alpes japonaises et de la préfecture de Kagoshima. Le climat est chaud (températures oscillant entre 5 °C l’hiver et 35 °C l’été) avec un pourcentage de 79,2 % d’humidité. Un proverbe local dit qu’il pleut 35 jours par mois à Yakushima ! Les whiskies de Shinshu et Tsunuki élevés sur cette île, caractérisés par une certaine exubérance, sont  extrêmement prisées par les amateurs de Mars.

 

La dégustation : 

Les deux whiskies sélectionnés, distillés un an après la création de Shinshu, témoignent des débuts de ce site de production. 

Mars 30 ans 1986 Komagatake Sherry 53 %

 

Seulement 163 bouteilles pour témoigner de ce bout d’histoire. Ce vénérable Mars Komagatake a vieilli pendant 30 ans, de février 1986 à juin 2016, dans un ancien fût de xérès. Authentique archive de la première période de production de whisky à Shinshu, cette expression ne renie pas pour autant une certaine filiation avec les Shinshu modernes. Les agrumes sont aussi présents au nez (citron) qu’en bouche (orange, pamplemousse). Le sherry apporte une patine très élégante aux traits chocolatés, fruités (figues) et herbacés (tabac).  Cette version – au même titre que les autres vieux embouteillages de Mars – est absolument remarquable et n’a rien à envier à d’autres légendes nippones.

 

Mars 30 ans 1986 Komagatake American White Oak 61 %

Cette version fait également partie du triptyque de whiskies de 30 ans embouteillés en 2016.

 

Les trente années passées en fût de chêne blanc américain lui ont donné une légère touche boisée, qui fait écho à l’univers aromatique et gustatif des whiskies américains. Le tout, avec un très bel équilibre. Le nez révèle des séquences herbacées, d’abord emplies de fraîcheur (mélisse) puis chaleureuses (thé à l’hibiscus). Des épices douces (cannelle, vanille) et des fruits secs apparaissent progressivement. La bouche est plus relevée, avec une attaque poivrée. Des notes de caramel, puis de cerise viennent tempérer le caractère vif de la palette gustative, avant qu’apparaissent des notes de noix sur la fin de bouche. L’aération affirme le  caractère malté de ce Mars. Un profil complètement différent de ce que produit Shinshu aujourd’hui, mais un très beau morceau d’histoire.