Le vrai du faux

A l’instar du marché de l’art et des produits de luxe, le monde des spiritueux ne fait pas exception en matière de faux et de fausses bouteilles. Parmi les catégories les plus visées, celle du whisky, qui suscite depuis plus de trente ans intérêts et vocations auprès des faussaires.

Le vrai du faux

La création de fausses bouteilles concerne principalement les extrémités de la catégorie c’est-à-dire :

1 - Les produits les moins chers et les plus populaires, gros faiseurs de volume. Dans le cas présent, les marques visées sont le plus souvent des blended scotch à très bas prix ou des bourbons et autres Tennessee whiskeys d’entrée de gamme et à destination de marchés émergeants. Les faux sont élaborés le plus souvent à partir d’alcool frelaté et constituent, en dehors du préjudice causé à l’image de la marque, un réel risque sanitaire.

2 – Les produits les plus chers, single malts en premier lieu, issus de distilleries réputées, toutes époques confondues, sont également dans leur collimateur. Les flacons de distilleries fermées avant la Deuxième Guerre mondiale, dont il est particulièrement difficile de retracer l’histoire, sont également convoités. Il n’est là plus question de viser un marché en particulier mais la population des collectionneurs. C’est cette dernière catégorie qui nous intéresse ici.

Le parcours d’une fausse bouteille

Les fausses bouteilles de collection ont des origines diverses, parfois liées à l’industrie du whisky elle-même. Ainsi, jusqu’au début des années 2000, il n’était pas rare qu’un producteur propose à son distributeur des bouteilles factices, parfois plus vraies que nature, afin de composer une vitrine pour attirer le chaland et faire la promotion du produit ou de la gamme en question. A ce titre, la première édition de The Macallan Fine & Rare fut un cas d’école. Les flacons variaient des originaux soit en raison d’un sticker posé au cul de la bouteille, soit d’une contre-étiquette manquante ou parfois juste légèrement arrachée sans mention du # de la bouteille. Si les collectionneurs les plus avertis ont su faire la différence, d’autres s’y sont laissé prendre.

La gamme des Macallan Fine & Rare

La gamme des Macallan Fine & Rare

Internet et les sites de vente d’articles de deuxième main sont aussi le relais de pratiques frauduleuses. A quoi bon vendre un flacon vide avec son bouchon et sa capsule intacts pour plusieurs centaines ou milliers d’euros ? Cette pratique ne date pas d’hier, seul le moyen de propagation a évolué.

Elle fut notamment à l’origine du premier scandale des fausses bouteilles au tournant du 21ème siècle. Une douzaine de distilleries virent de superbes flacons arborant leur nom, datant de la fin et du début du 20ème siècle, réapparaitre comme par enchantement cent ans plus tard.

Un Ardbeg 1885, trop beau pour être vrai!

Un Ardbeg 1885, trop beau pour être vrai!

Ardbeg, Bowmore, Macallan, Lagavulin, Longrow et Talisker furent les plus impactées. Ce fut aussi pour The Macallan une cruelle désillusion. A l’instar de nombreux collectionneurs à cette époque, la distillerie racheta de nombreux flacons. Elle développa une gamme baptisée Replica. Quatre répliques furent introduites sur le marché : 1881, 1876, 1874, 1861, reproduite à partir des bouteilles dites originales dans leur forme et contenu.

La série des faux Macallan rachetée par la distillerie

La série des faux Macallan rachetée par la distillerie

Si les flacons étaient bel et bien authentiques, le contenu ne l’était pas. La majorité de ces bouteilles, toutes distilleries confondues, testées au carbone 14, révèlent une distillation postérieure à 1955.

Ces fausses bouteilles sont le plus souvent passées de main en main avant d’atterrir dans la vôtre. Elles se seront glissées au sein d’une collection composée de plusieurs dizaines voire de plusieurs centaines ou milliers de bouteilles. Et lorsque la collection est à vendre, elles se retrouvent alors sur le marché. Mais elles peuvent aussi apparaitre en lots isolés lors d’une transmission à la suite d’un héritage. La réalité est que le vendeur est rarement conscient de la nature du flacon qu’il propose. Et face à la possibilité de s’être fait avoir, le déni est souvent l’attitude adoptée.

Si la transaction a lieu entre particuliers (qui se connaissent le plus souvent), le sujet, bien que toujours délicat, est généralement abordé. Tous les collectionneurs, sociétés ou particuliers, qui ont commencé leur collection dans les années 80-90 ont été confrontés un jour ou l’autre à une fausse bouteille ou en ont entendu parler. Et lorsqu’on rachète une collection entière, il faut s’attendre à ce qu’une ou plusieurs bouteilles soient fausses.

Si la transaction passe par une maison de vente aux enchères, qu’elle soit en ligne ou non, il appartient alors aux responsables de la vente d’adresser le sujet et d’écarter le ou les flacons en question. En la matière, la règle généralement utilisée, à défaut de pouvoir passer le flacon au carbone 14, est celle du « Si c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est faux ». Mais il arrive aussi que même les maisons se fassent abuser et apprennent au moment de la mise en ligne que le flacon qu’ils proposent est un faux ou ne l’apprennent jamais. Et donc la bouteille repart pour un tour.

Reconnaître le faux du vrai

Il s’agit là de mener l’enquête et de cumuler le maximum d’indices avant de crier « au loup ! » car une fois pris au jeu, la tentation de voir des fausses bouteilles partout est bien réelle.

Les faits historiques

D’une manière générale, tout ce qui a été mis en bouteille avant 1950 est sujet à caution, tous pays de production confondus : Ecosse, Irlande, Etats-Unis. Le Japon est pour le moment encore épargné en raison de l’arrivée tardive sur le marché européen (année 90) des premiers single malts 100% « Made in Japan ».

L’avènement des années 50 marque un tournant pour l’industrie du whisky qui, depuis la fin des années 1890, a survécu tant bien que mal à de très nombreuses crises économiques, politiques et sociales. C’est tout d’abord la crise de surproduction liée aux frères Pattisons à la fin du 19ème siècle qui ébranle l’industrie du whisky écossais. Arrivent ensuite les guerres 14-18 et 39-45, avec leur lot de destruction, de pillage, de fermeture de distilleries ou de réquisitionnement des sites et de l’appareil de production pour soutenir l’effort de guerre. Entre-temps, il faut aussi compter sur des lois et une fiscalité souvent perçues comme punitives. La prohibition votée au Etats-Unis à partir de janvier 1920 et qui durera jusqu’en décembre 1933 fit disparaitre la quasi-intégralité des stocks de whiskeys et ferma le principal débouché pour les scotch et irish whiskies. Enfin, la crise de 1929 se répercuta quelque temps plus tard en Irlande et en Ecosse, occasionnant davantage de rationalisations et de fermetures de sites.

C’est à ce contexte historique qu’il faut confronter l’authenticité des flacons et la possibilité de leur existence. Il faut aussi s’en référer aux règnes successifs des rois et des reines d’Angleterre qui, tous sans exception, ont accordé en leur temps leur sceau royal aux maisons de négoce et distilleries qu’ils affectionnaient particulièrement et qui permet aujourd’hui de dater certains flacons.

Les faits scientifiques & leurs limites

Le radiocarbone 14 est régulièrement utilisé afin d’authentifier la période de distillation d’un whisky. C’est l’analyse de l’alcool produit à partir de céréales récoltées avant ou après 1955-60 qui permet de dater le whisky. C’est ainsi que le Talisker 1863 a pu être également démasqué : le whisky qu’il contenait résultait d’une distillation de céréales récoltées après 1955. Le Laphroaig 1903 All Malt Berry Bros. & Rudd est aussi un très bel exemple de fraude et dans cette gamme, d’autres embouteillages sont aujourd’hui très fortement contestés, dont le Highland Park 1902.

Une bouteille du Highland Park 1902 de chez Berry Bros and Rudd dont l’authenticité est aujourd’hui contestée.

Une bouteille du Highland Park 1902 de chez Berry Bros and Rudd dont l’authenticité est aujourd’hui contestée.

Mais d’autres flacons passent le test de façon remarquable dont Tobermory 1880 ou encore le Lagavulin 1920, sans que l’on puisse encore pour autant déterminer l’année précise de distillation.

Les faits matériels (non exhaustifs)

Les évolutions technologiques permettent de dater un flacon :

  • Par sa forme notamment, au niveau du col et de ses épaules. Mais aussi par ses irrégularités et imperfections notamment au cul de bouteille. Le marquage des bouteilles est une source inestimable d’informations : le logo du fabricant, le code de la bouteille et parfois, sur les flacons irlandais, l’année de production du verre peut être indiquée. Par exemple, deux bouteilles de Power’s Gold Label, l’une de « 77 » et l’autre de « 70 », sachant qu’en 1975-76 le site de production fut transféré de Dublin à Cork.
  • Par son type de fermeture « bouchon » : en liège, à vis (métal ou plastique), à capsule dit « spring cap ». Au marquage des capsules, des matières utilisées et surtout de leur longueur. Par exemple, Laphroaig 30 ans « Long Cap » ou « Short Cap ». La première date de la fin des années 90 et la seconde du milieu des années 2000.
  • Le carton ou la boîte bois de transport marqué par un numéro de rotation (année au cours de laquelle la caisse a été remplie et scellée).
  • Par l’usage d’un verre transparent, vert ou marron foncé.
  • Par la façon de coller les étiquettes : traces de colles spécifiques aux Macallans mis en bouteilles dans les années 60.
  • Par la présence de paillettes blanches (dépôt de minéraux qui se sont cristallisés au fil du temps) et qui apparaissent au fond du flacon. Leur présence sur un ancien flacon est un signe rassurant.

Les étiquettes & les lois (non exhaustif)

L’évolution des lois et règlements nationaux et européens permettent de dater un flacon. Régulièrement, les sigles ou stickers et banderoles de douanes et autres certificats d’origines changent en fonction du marché d’importation et de l’époque. Même si la communauté européenne a commencé à lisser certaines règles, la principale étant le passage de 75cl à 70cl en 1991, chaque Etat reste souverain.

Ainsi, l’Italie est connue pour ses banderoles de douanes qui changent tous les 5 à 10 ans, la France pour ses sigles liés à différentes taxes créées au fil du temps : le « D », suivi de la CSS représentée par un « 8 » dans un cercle ou encore, plus récemment, le logo de la femme enceinte. Le Royaume-Uni utilisait jusqu’à la fin des années 70 les unités de mesure Proof (alcool) et FL.OZ. (volume), qui devint « Abv » et « Vol » dans les années 80. La liste est longue, mais savoir lire ou déchiffrer une étiquette est particulièrement précieux pour dater un flacon.

Par où commencer son enquête ?

A ce titre, Internet est l’outil de démarrage de toute enquête digne de ce nom. Confronter les informations disponibles sur les sites de ventes aux enchères en ligne dédiés à cette catégorie de produits, avec celles des sites de référencement ou de dégustation.

Se plonger ensuite si possible dans les livres et les magazines spécialisés. Les plus férus auront à leur disposition une bibliothèque avec des ouvrages dont le contenu est souvent devenu obsolète mais dont les photos des bouteilles ou étiquettes attestent de l’existence d’un flacon et permettent de le dater.

Par exemple : Laphroaig 10 ans Islay Malt Scotch Whisky, Importateur, Distributeur Maison Guerbe SA – La Guide Familier du Whisky, Les Editions de la Boétie 1978 et 1980). Cet embouteillage pour le marché français est particulièrement rare. Grâce à ce livre, son authenticité est avérée. Ce flacon est contemporain de ceux de l’importateur italien Bonfanti. La période de distillation doit dater de la deuxième moitié des années 60.

Certains auront compilé au fil des ans et de leurs visites au sein des distilleries, dans les salons, des prospectus, des catalogues, des tarifs, des newsletters, des articles publicitaires qui sont autant d’éléments « à charge » ou « à décharge ».

Enfin, en fonction du degré de proximité avec certains acteurs de l’industrie du whisky, d’autres commenceront par passer un coup de fil ou envoyer un e-mail à un contact au sein d’une distillerie, d’une maison de négoce ou d’un distributeur.

Le palmarès des distilleries/négociants visés

Voici le palmarès des distilleries et négociants les plus exposés en raison de la forte valeur de leurs flacons. Pour le Japon, la liste est amenée à évoluer rapidement. A noter :

ECOSSE

  • Ardbeg
    Bowmore
    Brora
    Clynelish
    Highland Park
    Lagavulin
    Laphroaig
    Macallan
    Port Ellen
    Rosebank
    Springbank

 

JAPON

  • Hanyu
    Karuizawa
    Yamazaki
    Yoichi

 

NEGOCIANTS

  • Samaroli (Italien pour les whiskies)
    Cadenhead
    Dumpy bottles Brown Labels
    Berry Bros ; & Rudd
    All Malt – Yellow Label
    Gordon & MacPhail
    Macallan bottled by G&M
    Moon Import (Italien pour les whiskies)
    Sestante (Italien pour les whiskies)
    Velier (Italien pour les Rhums)
    Caroni, Hampden & autre Demerara