La Favorite

 

Une des dernières distilleries familiales de la Martinique

L’histoire de la distillerie La Favorite débute en 1842, sur un domaine agricole de 900 hectares situé au Lamentin, en Martinique. Baptisé à l’origine Jambette, du nom de la rivière qui l’alimente en eau, il est renommé La Favorite en 1851 par son propriétaire, Charles Henry. À la fin du XIXe siècle, la sucrerie qui y est exploitée fait faillite, victime de la chute des cours du sucre, due notamment à la concurrence croissante de la betterave.

En 1902, Henry Dormoy, agriculteur à Saint-Pierre, perd son exploitation lors de la terrible éruption de la montagne Pelée. En quête de nouvelles terres à cultiver, il rachète La Favorite aux enchères en 1903 et décide d’abandonner la production de sucre pour se consacrer au rhum agricole, un produit en plein essor à l’époque. En 1905, il modernise l’ancienne distillerie en y installant une machine à vapeur, devenue depuis emblématique. Une tentative de relance de l’activité sucrière est engagée en 1924, mais échoue rapidement face à une concurrence trop importante. Henry Dormoy décède en 1938, laissant ses fils, Albert et André Dormoy, reprendre les rênes de l’affaire familiale.

Ce sont des concurrents sucriers qui aideront André Dormoy à rénover la distillerie, à la suite d’un accord qui s’échelonnera jusqu’en 1956. Un an plus tard, la production reprend sur le site et augmente progressivement au fil des années. Au début des années 1970, La Favorite fait l’acquisition de la marque Courville et rachète vers 1980 Saint-Étienne, devenant ainsi l’un des grands acteurs du rhum martiniquais. Toutefois, cette progression fut de courte durée. Les équipements de la distillerie Saint-Étienne seront cédés à celle du Simon et une partie des cultures, dont subsistent aujourd’hui 70 hectares, sera également vendue.

 

La machine à vapeur

La machine à vapeur de la distillerie La Favorite date de 1906. Elle développe une puissance de 360 CV, transmettant son énergie à une grande roue qui tourne à 60 tours par minute, employée pour broyer la canne. La pression des chaudières qui l’alimentent doit être régulièrement contrôlée à l’aide d’un baromètre.

Chauffées par des fours dans lesquels la bagasse (fibre de canne à sucre) sert de combustible, ces chaudières sont de gros cylindres remplis d’eau, traversés par 135 tuyaux qui permettent de faire bouillir l’eau et d’obtenir la vapeur, qui actionne ensuite les broyeurs à canne et qui sera finalement injectée dans les colonnes de distillation.

À l’entrée des moulins de broyage, la canne est tout d’abord hachée par une série de couteaux, avant de passer par une batterie de trois moulins, composés chacun de trois rolls (gros cylindres). Chaque moulin applique une pression plus forte sur la canne que le précédent afin d’en extraire progressivement tout le jus.

Récolté après broyage, le jus de canne (ou vesou) est ensuite filtré puis pompé jusqu’aux cuves de fermentation. Quant à la bagasse, elle est récupérée pour être brûlée dans les fours alimentant les chaudières. Ce fonctionnement en circuit fermé limite la consommation en énergie.

La distillerie est équipée de deux colonnes de distillation : la plus ancienne, en cuivre, date de 1957, la plus récente, en acier, a été installée en 1986. Les fermentations y sont plus longues que chez certains producteurs martiniquais puisqu’elles durent 72 heures. Les 70 hectares de La Favorite permettent de récolter environ 6 000 tonnes de canne à sucre par an, coupée à la main, auxquels s’ajoutent 2 000 tonnes fournies par des cultivateurs locaux. La production annuelle totale s’élève à 500 000 litres et se répartit de la manière suivante : 80% de rhum blanc et 20% de rhum vieux.

 

 

La Flibuste, emblème de la distillerie

Parmi les rhums vieux, de nombreuses cuvées sont vieillies en fûts de cognac et de bourbon. D’autres, comme les versions de la gamme Les Frères de la Côte, parient sur l’originalité, maturées quatre mois à bord du bateau « Tres Hombres », pendant la traversée de l’Atlantique. Mais la renommée de La Favorite s’est construite sur les embouteillages La Flibuste, dont le nom évoque les pirates installés à la Martinique qui sévissaient dans les Caraïbes. Selon Franck Dormoy, représentant de la 4e génération de la famille, les toutes premières versions de La Flibuste datent des années 1970 et sont l’œuvre de son grand-père André Dormoy. Exceptionnels du fait de leur âge canonique, ces rhums ont vieilli intégralement sous la chaleur martiniquaise. Les toutes premières versions étaient âgées de 33 ans, puis de 30 ans jusqu'au millésime 1987 et enfin de 25 ans. Très prisées et toujours produites en petites quantités, elles sont particulièrement recherchées par les collectionneurs. À titre d’exemple, sur Fine Spirits Auction, les expressions datant des années 1990 et 2000 se vendent aux alentours des 500 €. Plus encore, celles distillées dans les années 1980 peuvent dépasser les 2 000 € sur le marché secondaire. Ainsi, le millésime 1983 s’est vendu à 2 146 € à la fin de l’année 2024 et, plus récemment, les versions 1980 et 1982 se sont vendues à 1 848 € en avril 2025. Symbole d’un savoir-faire historique et d’une production artisanale préservée, La Favorite confirme son statut de référence pour les amateurs et collectionneurs du monde entier.

 

Dégustation

La Favorite 1990, rhum agricole, embouteillé vers 1998, 40% :

Couleur : Bronze

Nez : Quelques notes boisées pour commencer mais très vite, elles laissent la place à des effluves florales (lilas, chèvrefeuille). La canne à sucre n’est pas en reste, avec de belles notes végétales.

Bouche : On retrouve le boisé un peu intense du nez qui se décline de plusieurs façons avec du tabac, des champignons, de la réglisse, un peu de menthe couplé à du chocolat noir. Enfin, un peu de gingembre confit apporte un peu d’ampleur à cette fin de bouche.

Finale : Un peu courte à cause des 40%, mais néanmoins plutôt fraîche avec une jolie salinité.

 

La Favorite, La Flibuste 1980, Lot n°0478, 40% :

Couleur : Ambre

Nez : Fortement influencé par le cognac avec des pêches confites et des coings. Puis, quelque chose de plus concentré sur de la mélasse, de la réglisse et un boisé mentholé.

Bouche : Très gourmand avec une légère sucrosité inhérente aux embouteillages La Flibuste. Des notes de banane et d’ananas accompagné de quelques noix. On retrouve de la réglisse à nouveau sur la fin de bouche ainsi que du café.

Finale : Un joli boisé ainsi que des notes terreuses contrebalance l’aspect plus sucré de la bouche.

 

Ecrit par Camille Villeneuve