La conquête du single malt De Distillers Company Limited à Diageo

Distillers Company Limited : le cartel du grain

Distillers Company Limited (DCL) est une société fondée en 1877 par les propriétaires de six distilleries de grain des Lowlands pour contrôler la production et les prix. La crise des Pattison en 1898 - une grande crise de surproduction où la spéculation et l’endettement ont joué le premier rôle - est l’occasion pour DCL d’affermir son emprise sur le marché en rachetant de nombreuses distilleries à vil prix. Cette consolidation se poursuit dans les premières années du XXe siècle, si bien qu’en 1914, DCL peut se vanter d’être "the largest whisky distiller in the world". C’est à cette époque qu’est fondée Scottish Malt Distillers Ltd., une filiale dédiée à la gestion des distilleries de malt du groupe.

On voit donc que DCL et ses successeurs n’étaient pas prédestinés à devenir les hérauts du single malt, un statut qu’on aurait pourtant du mal à leur refuser quand on considère le poids symbolique de certaines distilleries ou de certaines gammes du groupe. Il aura fallu le whisky loch, la grande crise de surproduction des années 1980, pour que le groupe s’intéresse à ses distilleries, qu’il avait jusqu’alors largement reléguées au second plan, derrière ses blends : Johnnie Walker, Haig, Dewar’s...

Le tournant des Classics Malts et ses prémices

La gamme Ascot Malt Cellar, créée en 1982, représente la première ébauche d’une gamme de single malt chez Distillers Company Limited avec la présence de distilleries comme Linkwood, Rosebank et Talisker. Le but est alors d’aller chasser sur les terres de distilleries au succès éprouvé comme Macallan ou Glenfiddich. Néanmoins, cette approche demeure prudente pour ne pas dire timorée puisque deux blends figurent dans la gamme.

Le véritable tournant s’opère avec la sortie en 1988 des Classic Malts, une gamme représentant une version quelque peu revue des grandes régions d’Ecosse avec Glenkinchie (Lowland), Dalwhinnie (Highlands), Oban (West Highlands), Cragganmore (Speyside), Lagavulin (Islay) et Talisker (Skye). En 1997, la gamme se voit augmentée des Distiller’s Edition - les mêmes whiskies affinés dans différents fûts de sherry ou de porto - et d’autres distilleries rejoignent la gamme en 2005 comme Caol Ila ou Clynelish. Le succès est tel que les Classic Malts existent toujours trente ans plus tard.

L’ancrage et le développement des single malts

Encouragé par le succès des Classic Malts, United Distillers lance la gamme Flora & Fauna en 1991. On doit le nom officieux de la gamme à l’écrivain Michael Jackson qui faisait référence aux animaux et aux paysages représentés sur les étiquettes des bouteilles. Vingt-deux distilleries y figurent, rejointes par quatre autres en 2001, la plupart largement méconnues du grand public. Avec les Classic Malts, United Distillers avait choisi ses champions ; avec Flora & Fauna, le groupe montre la richesse et la diversité de ses nombreuses distilleries. Les whiskies sont âgés de 10 à 16 ans et, s’il existe bien quelques embouteillages bruts de fût et millésimés sortis en 1997, les autres sont réduits à 43%, rendant la gamme accessible à un large public.

Il n’en va pas de même pour l’autre grande gamme des années 1990 : les Rare Malts. Créés en 1995 et interrompus 2005, les Rares Malts forment une gamme plus élitiste, "for the enjoyment of the true connoisseur" peut-on lire sur l'étiquette. Les whiskies sont plus âgés - entre 18 et 30 ans - et embouteillés bruts de fût, souvent à des taux d’alcool avoisinant les 60%. Contrairement aux Flora & Fauna, on y trouve aussi des distilleries fermées comme Port Ellen, Brora, Rosebank, Glen Mhor ou Glen Albyn. Les millésimes vont de 1969 à 1982, un an avant la funeste année 1983 qui avait vu la fermeture de plus d’une dizaine de distilleries. C’est donc le passé du whisky écossais qui se raconte dans cette gamme.

Aujourd’hui, Diageo continue de mettre en avant ses distilleries à travers plusieurs gammes officielles ou les très attendues Special Releases proposées chaque année. En quelques décennies, ses distilleries de malt sont passées de l’ombre à la lumière et d’une fonction purement utilitaire à un statut patrimonial qui fait le prestige et la fierté du groupe.

 

Lagavulin au début du XXe siècle


Clément Gaillard, Golden Promise Whisky Bar.