Glendronach : au plus près des traditions

STANISLAS KINDROZ 09.01.2024

 

Fondée en 1826, la distillerie GlenDronach, dont le nom gaélique signifie « vallée des mûres », célèbrera bientôt son bicentenaire. Son single malt, marqué par le vieillissement en fûts ayant contenu au préalable du Xérès Oloroso et du Pedro Ximénez, est aujourd’hui l’un des plus reconnus de l’industrie. Quant aux vieux millésimes de cette institution du Speyside, ils suscitent un vif intérêt chez les amateurs et les collectionneurs, à l’instar de distilleries comme Ardbeg, Brora, Bowmore, Clynelish ou Port Ellen.  Retours sur l’histoire de Glendronach, surnommée le « nouveau Macallan ».

De nombreux changements de propriétaires

GlenDronach est l’une des premières distilleries légales d’Écosse. Fondée trois ans après l’Excise Act de 1823 par une association de propriétaires menée par James Allardice, elle change de mains plusieurs fois jusqu’à son rachat en 2016 par la société américaine Brown Forman.

 

Cette succession de directions différentes a entraîné des conséquences décisives dans la destinée de GlenDronach. Après avoir fait l’acquisition de la distillerie sept ans plus tôt auprès de Charles Grant, le groupe William Teacher and Sons décide en 1967 d’équiper le site d’une seconde paire d’alambics, afin d’augmenter la production. En 1976, la distillerie passe sous le commandement d’Allied Distillers qui décide de la mettre en sommeil de 1996 à 2002. En 2008, le destin de la distillerie prend un tournant décisif. BenRiach Distillery Company Ltd., dirigé par Billy Walker, rachète GlenDronach à Chivas Brothers (Pernod Ricard, le propriétaire de la distillerie depuis 2005). Dès lors, Billy Walker met au point un style qui fait aujourd’hui la renommée des whiskies de GlenDronach, intensément marqués par l’élevage en anciens fûts de Xérès. C’est par ailleurs sous son ère qu’est lancée la série des GlenDronach Single Casks, au sujet de laquelle nous reviendrons plus tard. En 2013, Billy Walker fait l’acquisition de la distillerie Glenglassaugh, puis en 2016, BenRiach, GlenDronach et Glenglassaugh sont cédées à son actuel propriétaire, Brown Forman. Rachel Barrie, qui a notamment travaillé pour Glenmorangie, Ardbeg, Laphroaig, Bowmore et Auchentoshan, est alors recrutée comme master blender de GlenDronach.

 

Aujourd’hui, GlenDronach a une capacité de production d’environ 2 000 000 litres d’alcool pur par an. Des travaux ont été engagés pour permettre à la distillerie de doubler sa capacité de production d’ici 2025.  Le site est équipé d’un mash tun en fonte de 3,7 tonnes avec râteaux. L’empâtage s’effectue lentement, afin de favoriser la production d’un moût plus clair qui, selon Rachel Barrie, offre un environnement idéal pour que les levures développent des notes fruitées lors de la fermentation. Cette dernière s’effectue dans neuf washbacks en bois de mélèze, durant 50 à 65 heures. Après une distillation lente, les whiskies sont élevés dans des anciens fûts de chêne européen ayant contenu du Xérès en provenance d’Espagne, ou des fûts de Porto. Pour les cuvées Traditionally Peated et Portwood, des anciens fûts de bourbon peuvent être utilisés pendant les premières années de vieillissement.

 

 

Idole des seventies

GlenDronach s’est distingué par sa maîtrise du vieillissement  en ex-fûts de sherry.  Dans la série de single casks lancés à partir de 2009,  certains sont devenus mythiques, notamment les vintages datant du début des années 1970. Ces derniers sont désormais très recherchés par les collectionneurs et les amateurs de la distillerie ou de whiskies élevés en fûts de sherry. Sur Fine Spirits Auction, un GlenDronach 40 ans 1972 Sherry Butt #713 a été adjugé à 4 130 € (commission incluse) en 2021. Aujourd’hui, ces vieux millésimes de Glendronach font partie des références les plus résilientes. En 2023, les GlenDronach 1971 s’adjugent encore entre £3 000 et £4 000 aux enchères. Les 1972 peuvent atteindre encore 3 000 £. En dehors des embouteillages officiels commercialisés par la distillerie, il existe également des embouteillages indépendants tout aussi notables. Silvano Samaroli, dans sa série Flowers, a embouteillé un très intense GlenDronach 1970 (qui s’est adjugé encore récemment à £3 100), certainement l’embouteillage indépendant de GlenDronach le plus célébré et le plus recherché à l’heure actuelle.

 

L’engouement pour ces vieux millésimes de GlenDronach s’explique en grande partie par leur qualités aromatiques et gustatives exceptionnelles. Ces expressions  sont les témoins d’une époque à laquelle le  whisky loch, qui engendre la fermeture d’une trentaine de distilleries entre 1983 et 1993, met un terme.

 

Dès les années 1960, l’industrie du whisky se structure et les modes de production évoluent considérablement, pour dessiner les contours des méthodes d’élaboration modernes. Des variétés d’orge plus résistantes et au rendement alcoolique supérieur seront préférées aux orges utilisées jusqu’alors (dont la fameuse Golden Promise). Le maltage est progressivement délocalisé hors des enceintes des distilleries (à quelques exceptions près), certaines distilleries optent alors pour des washbacks en acier inoxydable au détriment du bois, les alambics à chauffe directe (flamme) sont  remplacés par des alambics à chauffe indirecte (vapeur) ‒ à de rares exceptions près ‒ et les distilleries sont petit à petit automatisées. À cela, il faut ajouter également la Denominación de Origen (DO) pour les vins de Xérès de 1977 rendant obligatoire, pour des raisons d’appellation, l’embouteillage du Xérès sur place alors que les distilleries écossaises utilisaient jusqu’alors beaucoup de fûts de transport. De plus, la popularité du Xérès allant décroissant,  les distilleries sont contraintes d’utiliser des fûts avinés (ou seasoning casks) au Xérès pour élever leurs whiskies.

Dans cet élan de modernisation, GlenDronach a été l’une des dernières distilleries à abandonner ses aires de maltage (en 1996) et n’a arrêté la chauffe directe (au charbon) de ses alambics qu’en 2005. Malgré quelques concessions à la rentabilité, cette distillerie  de près de 200 ans reste un monument du whisky écossais, grâce à sa maîtrise des méthodes traditionnelles et ses longs vieillissements.

La dégustation :

Glendronach 1990 Samaroli Flowers 43 % :

 

 

Couleur : acajou foncé.

 

Nez : frais, concentré. Le premier nez, empreint de notes de chocolat et de noix, est d’une grande richesse. Puis, des parfums de gingembre et de poivre gris apportent beaucoup de tranchant à la palette aromatique. Le deuxième nez rend encore plus poreuse la frontière entre l’eau-de-vie de malt et le vin de Xérès.

 

Bouche : vive, onctueuse. L’attaque de bouche reprend la séquence composée de gingembre et de poivre gris du nez. Ce mordant se prolonge, progressivement tempéré par une très jolie séquence fruitée, allant de l’orange à la mangue. Des herbes aromatiques et des notes de lavande enrichissent l’espace gustatif à l’aération.

 

Finale : aérienne, élégante. Saupoudrée de cannelle et de café, elle ramène beaucoup de quiétude à la dégustation. Des notes de framboise prolongent cet état de douceur, avant que des notes de noisette n’apportent de la gourmandise.

 

Intense sherry bomb, ce GlenDronach se révèle plus subtil qu’il n’y paraît. Si le nez est en effet très riche, la dégustation va de fil en aiguille vers beaucoup de finesse.

 

Glendronach 43 ans 1971 #2920 48,6 % :

 

 

Couleur : ambre foncé.

 

Nez : frais, aérien. L’herbe fraîchement coupée est le premier terrain sur lequel s’exprime ce GlenDronach. Par la suite, des parfums de rose des sables, de mangue et de gingembre ornent l’espace olfactif avec beaucoup de grâce. À l’aération, le nez de ce GlenDronach prend des airs musqués.

 

Bouche : harmonieuse, vive. Chocolatée et torréfiée (café), l’attaque de bouche est pleine de rondeur. Puis, les secondes passant, ce GlenDronach révèle un peu de piquant, par des saveurs de noix et de gingembre. La fin de bouche s’oriente vers plus de  délicatesse, avec de jolies notes de mûres et de myrtilles.

 

Finale : délicate, soyeuse. Une note de café apporte de la chaleur à la palette gustative. La finale revêt ensuite des traits pâtissiers, sur des notes de brownie et de miel. Puis, l’atmosphère devient musquée, sans pour autant perturber l’équilibre construit au fil des secondes.

 

Nous sommes ici sur une version plus complexe que celle embouteillée par Samaroli. Elle a le don de nous rappeler, d’une part, que GlenDronach est un whisky magnifiquement épicé mais, d’autre part, qu’il est capable d’alterner les séquences aromatiques contraires (fruits exotiques, notes animales…) avec une grande adresse.

 

Glendronach 43 ans 1972 #706 51,1 % :

 

 

Couleur : acajou.

 

Nez : capiteux, intense. Des notes de chocolat en train de fondre forment une première séquence aromatique plutôt grisante. Puis, comme sur un grand nombre d’expressions de cette période, une très jolie touche d’exotisme (fruit de la passion) surgit de la plus belle des manières. La patte métallique du second nez est un marqueur old-school typique.

 

Bouche : ronde, précise. Le chocolat, gourmand en attaque de bouche puis plus amer en fin de bouche, encadre la dégustation. L’entre-deux nous propose de déguster successivement un thé aux fruits rouges, un cidre, un café noir et un jus d’orange. Des épices orientales se déposent sur le palais pendant l’aération.

 

Finale : légèrement amère, chaleureuse. Les saveurs de thé aux fruits rouges reviennent, avant d’être remplacées par du thé matcha. Une séquence animale (jambon grillé) inédite s’ensuit. Au fil de la dégustation, une très jolie couche de vanille recouvre le palais.

 

Des trois GlenDronach dégustés, cette version présente le profil le plus précis et le moins marqué par l’élevage en ancien fût de Xérès. C’est également elle qui, par sa finesse d’expression, retranscrit le mieux l’univers des whiskies distillés pendant cette période.