Edoardo Giaccone, le premier embouteilleur indépendant d’Italie

Edoardo Giaccone, surnommé « Baffo » à cause de sa spectaculaire moustache, est certainement un des personnages les plus importants de l’histoire du whisky en Italie. Visionnaire, il a ouvert la voie aux grands embouteilleurs indépendants qui lui ont succédé.

 

 

Collectionneur et propriétaire de bar

Edoardo Giaccone naît en 1928 à Varazze, en Ligurie. Après avoir brièvement dirigé un bar à 20 ans, il se fait embaucher sur un bateau de croisière à bord duquel il sillonne le monde. Le début de sa passion pour le whisky, qu’il retrouve à chaque escale, date de cette période. Il devient petit à petit un véritable expert et, à bien des égards, un avant-gardiste. Par exemple, il utilise déjà un verre de dégustation quand le tumbler règne en maître partout ailleurs.

Il ouvre son premier bar en 1958 à Salò, au bord du lac de Garde, d’abord baptisé Garten puis renommé Edward & Edward en 1956 d’après son nom et celui de son fils qui vient de naître. On peut y goûter pas moins de 1 500 whiskies. Une accumulation de mésaventures - un vol, un incendie et finalement l’éviction par son propriétaire - le conduit à fermer son bar mais il en ouvre un autre, la Taverna del Capitano à Gardone Riviera, en Lombardie.

Giaccone a accumulé une collection fantastique, allant jusqu’à vendre sa maison pour l’enrichir. Riche de 5 502 références différentes et d’un stock de 30 000 bouteilles, elle entre dans le Livre Guinness des records comme la plus grande collection de whisky au monde.  Malade à la fin de sa vie, Giaccone propose à Pepi Mongiardino de la racheter. Ce dernier accepte mais recule finalement devant l’ampleur et la difficulté de la tâche et c’est finalement Giuseppe Begnoni qui en fait l’acquisition.

 

Gordon & MacPhail

Giaccone a sillonné l’Écosse au cours de nombreux voyages, visitant chaque distillerie pour parfaire ses connaissances, rechercher les meilleures bouteilles et les meilleurs fûts, démarche qui l’a conduit à sélectionner certains des plus beaux whiskies de son temps.

Une part importante des embouteillages de Giaccone vient de Gordon & MacPhail. La gamme Connoisseur’s Choice - la première, avec les étiquettes rouges sur fond noir - compte plus d’une dizaine d’embouteillages pour Giaccone, exceptionnellement réduits à 43%, probablement à sa demande, au lieu des 40% pratiqués par Gordon & MacPhail à l’époque. On y retrouve certaines des distilleries phares de Gordon & Macphail comme Mortlach, Linkwood, Strathisla ou Talisker. On note aussi l’âge particulièrement élevé de ces whiskies avec une fourchette qui va de 21 ans pour un Talisker 1951 à 39 ans pour un Avonside 1938.

 

Deux embouteillages de la gamme Connoisseur’s Choice de Gordon & MacPhail pour Edoardo Giaccone

 

Giaccone et Gordon & MacPhail ont aussi sorti une superbe série de carafes en cristal d’Édimbourg à l’occasion des 80 ans de la Reine mère, Elizabeth Bowes-Lyon, en 1980. Quatre sont des whiskies millésimés : un Macallan 1940, un Glenlivet 1938, un Linkwood 1938 et un Glen Grant 1936. Les autres, généralement plus jeunes et sans mention du millésime, reprennent les treize whiskies sélectionnés dans le livre de Sir Robert Bruce Lockhart, Scotch: The Whisky of Scotland in Fact and Story, publié en 1951.

Cette relation entre Giaccone et Gordon & MacPhail se poursuit avec d’autres embouteilleurs italiens au point que George Urquhart, à la tête de Gordon & Macphail à l’époque, se rend chaque année en Italie pendant six semaines.

 

Les officiels

Peu nombreux, il est pourtant difficile de choisir entre les embouteillages officiels sélectionnés par Giaccone. Du côté des bruts de fût, dont le premier est un Glen Albyn 10 ans embouteillé en 1967, on peut mentionner quelques Glenfarclas, dont un 21 ans à 51,5% d’anthologie, un Linkwood 12 ans et, comme nous le verrons plus bas, trois Clynelish 12 ans et deux Bowmore 1969. D’autres embouteillages ont été proposés réduits comme le Tormore 10 ans, le Dalmore 20 ans et plusieurs Highland Park.

 

Glenfarclas 21 ans pour Edward (sic) Giaccone

 

Embouteillés entre la fin des années 1960 et celle des années 1970, ces whiskies ont été distillés dans les années 1950-1960. Leur style a peu en commun avec les whiskies plus récents et permet de mieux comprendre une certaine époque de l’histoire du whisky avant le début de la modernisation des années 1960 et surtout 1970.

L’héritage de Giaccone est immense, tant par ses bars que sa collection et bien sûr ses sélections. Pepi Mongiardino raconte ainsi que c’est la première personne à qui il s’est adressée quand il a commencé à distribuer Bruichladdich en Italie. Sans en être tout à fait un lui-même - il était plus sélectionneur qu’embouteilleur indépendant et il n’avait pas ses propres bouteilles ou ses propres étiquettes -, Edoardo Giaccone a ouvert la voie aux grands embouteilleurs indépendants des années 1980 comme Silvano Samaroli, Pepi Mongiardino ou Nadi Fiori. Il meurt en 1996.

 

Clynelish 12 ans (rotation 1971) pour Whiskyteca Edward & Edward

 

Clynelish 12 ans

56,9%, 75cl, 1969, For Whiskyteca Edward & Edward

Les Clynelish 12 ans embouteillés par Giaccone comptent parmi les plus beaux embouteillages de cette distillerie, rebaptisée Brora après l’ouverture de l’actuelle distillerie Clynelish. Il en existe trois respectivement embouteillés en 1969, 1971 et 1973, toujours à 56,9%. D’une complexité vertigineuse, les cires, les miels et les huiles rencontrent un caractère côtier, médicinal et austère fait de zestes d’agrumes, d’herbes et de sel. S’y ajoutent des notes goudronneuses et fumées et une texture grasse et huileuse particulièrement suave.

Bowmore 1969

58%, 75cl, 1978, #6635, For the 20th anniversary of Edoardo Giaccone’s whiskyteca at Salò 

Ce Bowmore a quelque chose d’un ovni quand on est habitué aux Bowmore fruités, exotiques et très peu tourbés distillés dans les années 1960, l’âge d’or de la distillerie. Celui-là prend le contrepied total de ce style pourtant tant apprécié. Il est minéral, salin, intensément tourbé et le seul fruit qu’on y trouve est un citron à l’acidité tranchante comme une lame de rasoir. Peut-être un des whiskies les plus retors et austères qui soient, c’est aussi un des plus beaux ; remarque qui pourrait valoir pour nombre de ceux sélectionnés par Edoardo Giaccone.