Dun Eideann : un des joyaux d’Andrew Symington

STANISLAS KINDROZ 01.12.2023

 

Les embouteillages de la gamme Dun Eideann passent régulièrement sous les radars dans les salles de vente, sur les sites d’enchères, dans les bars à whiskies et les clubs de dégustation. Pourtant, leur étiquette rendant hommage à Édimbourg, comme une célèbre autre gamme créée par Andrew Symington, créateur de Signatory Vintage, mérite toute l’attention des amateurs et des collectionneurs. Retour sur une série discrète, mais non moins exceptionnelle.

 

Tout commence dans les années 1980

 

Andrew Symington découvre l’univers des single malts dans les années 1980, en tant que directeur adjoint du très prestigieux Prestonfield House à Édimbourg. À l’époque, cet hôtel luxueux est plébiscité par les producteurs de whiskies pour l’organisation de soirées à l’attention de leurs clients importants. Grâce à l’offre immense de single malts proposée par le Prestonfield House et aux échantillons qui lui sont offerts par les clients de l’établissement, Andrew Symington se passionne pour le whisky. Après la réalisation de quelques embouteillages dans la gamme Prestonfield (dont deux magnifiques Springbank 1967 et un immense Bowmore 1965), Andrew Symington démarre véritablement son activité d’embouteilleur indépendant en 1988 et fonde Signatory Vintage.

 

Andrew Symington continue de développer la gamme Prestonfield jusqu’en 2011 (et un magnifique Glen Scotia 1977 sélectionné conjointement par La Maison du Whisky & The Nectar of the Daily Drams en guise de Final Release). Avec Signatory Vintage, il crée certaines des collections les plus mythiques de l’histoire du whisky. Parmi celles-ci, Dumpy et ses bouteilles iconiques, Vintage Collection avec des whiskies réduits 43 %, Millenium célébrant le passage à l’an 2000 ou encore Silent Stills dédiée aux distilleries fermées. Aujourd’hui, l’offre de Signatory Vintage s’est recentrée autour de quatre séries : The Un-Chillfiltered Collection (réduction à 46 % et non filtration à froid), Very Cloudy (embouteillages à 40 % et non-filtrés à froid), Cask Strength Collection réservée aux bruts de fût et, enfin, la dernière qui propose des single malts à 43 % filtrés à froid.

 

 

Un trésor caché

En 1988, Signatory Vintage lance Dun Eideann, qui désigne Édimbourg en gaélique écossais, une collection plus confidentielle dans laquelle plus de 250 éditions seront commercialisées jusqu’au début des années 2000. 

 Ces single malts provenant de distilleries en activité ou fermées aujourd’hui sont proposés de 43 % au degré naturel et sans filtration à froid, car Andrew Symington travaillait déjà à préserver tout le potentiel aromatique et gustatif de ses whiskies. Sur ces embouteillages, contrairement aux autres séries signées par Signatory Vintage, le nom de l’embouteilleur n’est jamais mentionné. 

 

En effet, lorsqu’il lance Dun Eideann, Andrew Symington a l’intention de commercer avec plusieurs distributeurs au sein d’un même pays. En France, il confie par exemple la distribution de Signatory Vintage à La Maison du Whisky tandis que la gamme Dun Eideann est travaillée par Auxil. Même principe pour l’Italie, où les embouteillages de Signatory Vintage sont distribués par la société Velier et la série Dun Eideann par Donato. Cette dissociation de la gamme Dun Eideann de la marque Signatory Vintage n’est pour autant pas synonyme de moindre qualité.

 

Dun Eideann, qui se traduit littéralement par « la forteresse de Eidin », était anciennement le château des rois d’Écosse et le lieu où étaient conservés, à l’abri des regards, les joyaux de la Couronne. La contre-étiquette – écrite en français, ce qui est très rare – de chaque embouteillage mentionne ainsi : « C’est pourquoi le nom Dun Eideann a été choisi pour être celui d’une véritable sélection de malts rares, véritables joyaux. » À travers son nom, la gamme affichait d’emblée son ambition !

 

Il n’est pas rare de voir aux enchères des éditions de distilleries mythiques, comme Port Ellen ou Rosebank, s’adjuger autour de £500. Sur Fine Spirits Auction, un Rosebank 1991 s’est vendu à 330 € commissions incluses lors de la vente aux enchères du mois de mars 2023. Dans les séries estampillées Signatory Vintage, les embouteillages de ces distilleries s’adjugent à des prix plus élevés que ceux de Dun Eideann, sans que toutefois leur qualité soit moindre. 

 

L’excellent rapport qualité-prix des embouteillages de la gamme Dun Eideann se confirme également si l’on en juge les millésimes célèbres. Un Bowmore 1966 a été adjugé l’année dernière pour £3,709. Impossible d’imaginer de tels prix chez un autre importateur ou un autre embouteilleur indépendant… Même chose pour les Springbank des années 1960. Un 20 ans de 1967 ans a atteint la somme de £1,850, un prix inférieur à certaines éditions officielles (dont les versions Local Barley) et celui des fameux Prestonfield House.

 

Enfin, en dehors de ces distilleries et millésimes mythiques, la gamme Dun Eideann est également l’occasion de découvrir des distilleries méconnues à bas prix. Sur Fine Spirits Auction, deux Benrinnes 1989 se sont adjugés à moins de 100 €, un Royal Brackla 1983 à 106 € et un Craigellachie 1981 à 112 €. Une raison supplémentaire pour l’amateur de whisky de s’intéresser au single malts de cette série considérée par Andrew Symington comme d’authentiques joyaux.

 

La dégustation :

 

Pour conclure cette brève, nous vous proposons de découvrir deux très beaux whiskies de l’île d’Islay :

 


Port Ellen 1978 Dun Eideann 43 % :

 

 

Robe : or clair.

 

Nez : frais, magnétique. Des parfums de coquillages, d’eau de mer et d’algues ancrent magnifiquement la dégustation au bord de la mer. De façon éthérée, des notes de fumée, d’anis étoilé et de biscuit au beurre composent une seconde séquence aromatique pleine de subtilité.

 

Bouche : vive, friande. Dans le prolongement du nez, des miettes de biscuits au beurre se répandent sur le palais. Le milieu de bouche y dépose de douces épices, avant qu’une vague de gros sel vienne rappeler l’ancrage marin de ce Port Ellen. Une touche élégante de vanille nous offre une fin de bouche très agréable.

 

Finale : fine, complexe. La gourmandise persiste mais dans un autre registre, à la fois empyreumatique (pâte à tarte brûlée) et fruité (pommes cuites). Du café en poudre succède à cette séquence gustative. Des herbes aromatiques se déposent en arrière-bouche.

 

Malgré son degré, ce Port Ellen fait preuve d’une très grande générosité et richesse d’expression. Un style plutôt moderne pour un whisky d’une belle complexité.

 

Ardbeg 1974 Dun Eideann 43 % :

 

 

Robe : ambrée.

 

Nez : chaleureux, inhabituel. Inhabituel, parce qu’au nez, cet Ardbeg prend littéralement des airs de rhum de la Barbade, à travers ses notes de noix de coco, de caramel brûlé, de pansement, d’antiseptique et de bois verni. À l’aération, un parfum de jus pétillant au fruit de la passion rafraîchit la palette aromatique et lui donne une dimension aérienne.

 

Bouche : harmonieuse, subtile. L’attaque en bouche, par son caractère organique (hydrocarbures) et exotique (mangue très mûre) nous fait voyager, non pas jusqu’à Kildalton, mais jusqu’à Trinité-et-Tobago. La fumée fait une apparition fugace lors du milieu de bouche, précédant des notes très précises de citron.

 

Finale : ample, tendue. L’entame de finale donne l’impression de mâcher un bonbon au caramel. Puis, progressivement, une minéralité s’installe et nous quittons définitivement la Barbade et Trinité-et-Tobago. Enfin, le caractère fumé iconique d’Ardbeg apparaît en arrière-bouche, en clôture de la dégustation, avec beaucoup d’allure.

 

Dans l’une de ses innombrables notes de dégustation publiées sur whiskyfun.com, Serge Valentin écrivait que les grands spiritueux finissaient toujours par converger. Cet Ardbeg fait véritablement partie de ceux-là.