En 2021, selon Rare Whisky 101, Springbank était la troisième distillerie en termes de bouteilles vendues aux enchères au Royaume-Uni. Depuis 1973, une petite partie de sa production est réservée à l’élaboration d’un whisky très tourbé nommé Longrow, en hommage à la distillerie éponyme établie sur le même site en 1824. Retour sur la genèse de ce whisky de Campbeltown qui ne renie guère une certaine filiation avec Islay.
Fondée par John Ross suite à l’Excise Act, Longrow est située sur la presqu’île de Campbeltown, cité phare du whisky. La distillerie ferme ses portes en 1896 et son nom ne réapparaît qu’en 1973, ressuscité par Springbank qui décide de baptiser ainsi une production inédite. La distillerie utilise par ailleurs le seul entrepôt restant des bâtiments d’origine pour l’embouteillage de ses whiskies. Une édition de 10 ans d’âge est lancée en 1985.
Avant d’être produit en continu depuis 1990, les versions de Longrow n’avaient été distillées que durant trois années, à titre expérimental : 1973, 1974 et 1987, sachant que la distillerie avait été mise en sommeil entre 1979 et 1987. Aujourd’hui encore, les volumes de production de Longrow restent bien inférieurs à ceux de Springbank. : Pour preuve, l’élaboration de Springbank requiert chaque semaine sept fois plus de moût que celle de Longrow dont les volumes produits sont équivalents à ceux de Hazelburn, single malt lancé en 1997 et qui a pour particularité d’être issu d’une triple distillation. Les productions additionnées de ces deux single malts représentent environ 26 000 litres sur les 130 000 produits annuellement à la distillerie.
En termes d’expression aromatique et gustative, Longrow se distingue par son niveau de tourbe élevé, situé entre 50 et 55 ppm, tandis que Springbank affiche un niveau de tourbe entre 12 et 15 ppm et qu’Hazelburn est non tourbé. S’il est plus puissant et que ses notes fumées le rapprochent davantage des whiskies d’Islay, Longrow - évoquant « l’odeur du mouton mouillé et l’agressivité du tigre » selon un article publié dans la revue Decanter - partage de fortes similitudes avec Springbank, notamment dans l’expression des arômes fermiers et végétaux de la tourbe. Leur rusticité et leur mise en valeur de la matière première font le bonheur des amateurs de la distillerie.
Le profil bien particulier de Longrow tient à des spécificités de production qui le distinguent de Springbank. Le séchage dure quarante-huit heures et le moût est distillé deux fois (contrairement à Springbank qui est distillé 2,8 fois) dans des alambics à chauffe directe qui apportent une certaine richesse aromatique et gustative. Le lent processus de refroidissement des vapeurs par un condenseur à serpentin joue également un rôle très important. Il permet d’obtenir un distillat plus lourd, plus dense et plus huileux. Le cœur de chauffe est recueilli de 69% à 58% d’alcool et le distillat est mis en fût au degré classique de 63%. De nombreuses expériences de vieillissement en fûts de vin sont faites.
Parmi les whiskies distillés avant la mise en place de la production continue, les millésimes 1973 et 1974 sont les plus réputés, notamment la version 1973 embouteillée par Moon Import en 1990, dans la seconde série des Birds. Cet embouteillage est exceptionnel par sa complexité, son équilibre et la délicatesse de sa tourbe. Plus abordable que les versions sélectionnées par Silvano Samaroli et quelques très rares 1973 élevés en fûts de sherry, il s’adjuge en moyenne à £2,000 aux enchères. Dans la même échelle de valeur, nous pouvons également citer le “First Distillation Last Cask”, véritable témoignage de l’histoire de Longrow, qui se distingue par son profil plus tranché et plus salin. Puisque nous évoquions Silvano Samaroli, certains Longrow proposés par l’embouteilleur comptent parmi les plus recherchés par les collectionneurs, avec notamment le remarquable natural strength sherry wood (408 bouteilles seulement) dont certaines bouteilles s’adjugent fréquemment au-delà de £5,000. Par ailleurs, pour les collectionneurs qui souhaiteraient s’offrir un embouteillage Samaroli sans se ruiner, certains millésimes 1987 s’adjugent en dessous des £1,000, ce qui reste un excellent prix compte tenu de la qualité de ces embouteillages.
Dans l’interview qu’il donne à Emmanuel Dron dans l’ouvrage Collecting Scotch Whisky, Silvano Samaroli dit avoir acheté la moitié de la production de l’année 1987, soit une centaine de fûts ! Découvrons deux expressions proposées par le célèbre embouteilleur italien.
Longrow 1987 Samaroli 45% :
Couleur : jaune doré.
Nez : fin, empli de fraîcheur. Des parfums de goudron, de sel de mer, de cendre froide et de comté expriment toute l’élégance de la tourbe. Par la suite, des embruns iodés recouvrent l’espace olfactif et ancrent la dégustation sur Islay.
Bouche : tonique, huileuse. Après une vive entrée en matière, la bouche de ce Longrow se dévoile avec subtilité, par une fumée (paprika) et une salinité (amandes) très délicates. Le milieu de bouche est tour à tour fumé et fermier. Enfin, des saveurs de tarte au citron meringuée apportent de la générosité.
Finale : longue, aérienne. La tarte au citron meringuée fait la transition. Des jolies notes de violette élèvent la finale avec délicatesse. Puis, nous revenons tout doucement vers la tourbe qui finit par exprimer son caractère minéral (charbon).
La parenté avec les whiskies d’Islay est patente. Sur la contre-étiquette de cet embouteillage, Silvano Samaroli décrit la bouche de ce Longrow comme “moelleuse” et “clean”. C’est effectivement le moins qu’on puisse dire. Nous nous permettons d’ajouter que les amateurs de la distillerie y trouveront également des notes fermières typiques.
Longrow 1973 Samaroli Natural Strength 53 % :
Couleur : or.
Nez : à la fois ample et élégant. Dès le début de la dégustation, la cire est omniprésente. La tourbe, par son intense fumée, évoque immanquablement Ardbeg. Marqué de douces notes de vanille bourbon., ce Longrow alterne avec brio délicatesse et intensité.
Bouche : riche, harmonieuse. L’attaque en bouche évoque la cire d’abeille. La fumée y est plus délicate qu’au nez, et la tourbe révèle des tonalités plus médicinales. À l’aération, la palette gustative est assaillie de gros sel.
Finale : élégante, équilibrée. La tourbe nous plonge au bord de la mer, elle évoque des coquilles d'huîtres. Ensuite, des saveurs de tabac à cigare recouvrent complètement l’arrière-bouche et apportent une belle amertume. La finale s’éteint sur des notes de café serré.
Malgré le degré plus élevé, ce 1973 se révèle finalement plus domptable que le 1987 commenté plus haut. Nous retrouvons ici des marqueurs cireux que partagent également les Springbank de ces années-là. Néanmoins, le nez et (surtout) la finale trahissent un niveau de tourbe très élevé qui sépare définitivement Longrow de Springbank.